Ce nom lui avait été décerné 30 ans plus tôt, alors qu'il était scout, et qu'on allait l'introniser dans l'ordre secret des Webelos. Le chef de troupe qui dirigeait également l'orchestre du collègue était une sorte de visionnaire ; il lui plaisait de doter ce garçon morose d'un nom qui le ferait basculer dans les replis les plus sombres du ciel : Sorcier.
Sorcier est mon livre préféré de Jim Harrison et l'un des livres les plus éclatants qu'il m'ait été donné de lire au cours de mon existence mélancolique. Jim Harrison (de notoriété publique, l'un des meilleurs écrivains de la galaxie) l'a publié en 1981, il avait 44 ans. Allez savoir pourquoi, Sorcier est épuisé en librairie depuis 6 mois. Manifestement, son éditeur ne considère pas comme une priorité absolue de rendre ce scintillant et mirifique bijou accessible au bon peuple, lequel s'apprête (par voie de conséquence directe ?) à élire Marine le Pen aux plus hautes fonctions de l’État. Avec un peu de chance, on peut quand même le trouver à la bibliothèque. Vous le reconnaîtrez aisément à son affreuse couverture marronasse. C'est donc rien de le dire, mais Sorcier se mérite. Il s'agit donc d'un type prénommé Johnny, mais qui parle de lui-même à la troisième personne, en s'affublant du sobriquet - infiniment plus lyrique et mystérieux que son vulgaire prénom - de Sorcier. Ce qui fait de lui un puissant et pathétique Don Quichotte (pardon pour la navrante banalité du propos, mais parfois il faut modestement savoir appeler un chat un chat), occupant le plus clair de son temps à s'escrimer contre des moulins à vent. Cette parenté avec le héros de Cervantès est par ailleurs habilement suggérée dans le 2e chapitre :
pour le meilleur et pour le pire, ce chien était le Rossinante de Sorcier.
A propos de Hudley, donc, le fidèle compagnon à 4 pattes de Sorcier. (http://www.vetstreet.com/dogs/airedale-terrier).
Mais, trêve de plaisanterie, si ce livre est d'une étourdissante profondeur (tel un crépuscule phosphorescent au fin fond du Michigan), c'est bien parce qu'il ne fournit pas seulement à son lecteur émerveillé une bonne dose de rigolade, mais également une philosophie savoureuse et hautement gagantuesque de vie. Si Sorcier ne se laisse pas abattre, s'il ne perd pas complètement les pédales, s'il garde - en d'autres termes - la patate en toutes circonstances, c'est grâce à cette façon qu'il a de mener sa vie, non pas en se tourmentant ET se molestant ET se maltraitant en toute circonstance de cette chienne borgne de vie comme nous avons tous tendance à le faire (pauvres connards que nous sommes), mais en se pardonnant tout, en en faisant des caisses, en se racontant sur lui-même des histoires réconfortantes, en prenant des poses poignantes, bref en s'inventant miraculeusement une réalité dont il est le héros dérisoire et charmant, l'inaltérable gentleman, le guerrier-ours aux muscles d'acier, le suprême Shaman, le bouffon héroïque, le noble touareg marchant droit vers l'Oasis dont il sait pourtant qu'il est un mirage de son imagination tourmentée. Et n'est-il pas sage d’ensorceler ainsi sa vie ? De se faire le magicien vaseux de sa propre existence pathologique ? Ainsi donc BIG JIM ne fait pas que nous divertir ou nous charmer ; il nous instruit, nous édifie. Il nous dit : prends en de la graine, petit gars, prends en de la graine. Aime-toi toi-même comme Sorcier s'aime, glorifie excessivement tes réussites, apitoie-toi exagérément sur toi-même, admire-toi, aie pitié de toi, petit homme.
Je ris sous cape en pensant à tous les gentils idiots qui pensent que Dalva – cet Ada grandiloquent – et le meilleur bouquin de Jim Harrison, et le seul qui mérite d'être lu. Ils ne savent pas ce qu'ils font, Pardonne-leur.