Choisir le contexte et l'histoire
Chaque livre de Michel Houellebecq bénéficie d'un fort effet d'annonce avant sa sortie et Soumission n'a pas dérogé à la règle. La presse a longuement vendu le livre pour le contexte politique de cette France qui devient gouvernée par un parti politique musulman, balayant par la même occasion l'esprit de la loi de 1905 séparant la religion des affaires de l'Etat. Tel un visionnaire plus logique que culotté, l'écrivain imagine aussi la France de 2022, devant se conformer ou se soumettre (rayer la mention inutile) au nouvel ordre politique et religieux du moment. Or, cette toile de fond est selon moi toute accessoire si vous ne vous intéressez pas au personnage principal du roman et à son histoire. En effet, ce maître de conférences de l'université de la Sorbonne, la quarantaine, se retrouve également à un tournant de sa vie avec ces nouvelles circonstances. Cet état de faits ne trouvera pas sa pleine cohérence si le lecteur ne va pas au bout de l'histoire et les dernières pages du livre sont cruciales car elles racontent la déchéance intellectuelle d'un homme par pragmatisme.Et s'il y a une soumission, c'est bel et bien celle-ci.
Avec ce livre, Michel Houellebecq s'est mine de rien attaqué à une élite: celle du microcosme universitaire. C'est aussi sans la moindre complaisance qu'il décrit les bassesses et les hypocrisies de ce milieu soit disant éclairé. S'il y a un courage, des audaces, elles sont ici. En choisissant des personnages qui obéissent aux codes du nouveau pouvoir en place, Houellebecq fusille le mythe de l'éducation vertueuse et bien pensante et réitère une vérité bien actuelle: ce monde n'a décidément plus de morale et suit à qui mieux-mieux le sens du vent.
Le petit bémol que je voudrais rapporter sur Soumission, c'est que Michel Houellebecq n'a pas voulu incarner les personnages religieux de l'histoire. A vrai dire, il a incarné un contexte, semé des allusions subtiles pour contourner les traditionnelles polémiques et ne pas tomber dans la même impasse que Salman Rushdie avec les versets sataniques.Quelque part, je comprends cette protection impérieuse et cette volonté de ne pas remettre de l'huile sur le feu.C'est tout à l'honneur de Michel Houellebecq d'avoir livré un roman pas complètement raisonnable et ni trop polémique. Son talent d'écrivain est finalement dans cet équilibre instable où la suggestion et le non-dit révèlent d'autres horizons de compréhension.