La bouche d'un pistolet ou les pieds de la croix...
Qu'on puisse s'offenser du traitement que réserve Houellebecq à l'islam ne manque pas de me laisser profondément songeur. Et ce pour plusieurs raisons.
De une: à quoi s'attendait-on? Michel n'a jamais été tendre pour aucune foi et n'a jamais frappé par sa fibre mystique. Il reste un grand désabusé. Si les religions monothéistes l'intéressent c'est d'un point de vue culturel, comme un intellectuel. A ce titre tout le passage consacré à la madone noire de Rocamadour est révélatrice. Près d'elle, le narrateur se sent pris de vertige devant la profondeur du sentiment religieux médiéval mais avoue qu'une fois parti il ne sent plus rien. Il est sensible à la monumentalité de la foi romane et à sa beauté mais vraiment plus? Il ne semble pas... De ce point de vue l'Islam lui semble une religion du livre comme les autres, simplement un peu plus pragmatique, donc, dans le fond préférable parce que plus conciliable avec sa vie de petit bourgeois ankylosé.
De deux: il ne s'agit à aucun moment de terroristes ou de djihadistes hurleurs. A part les extrémistes (qui sont présentés comme minoritaires) au début du livre, les musulmans sont présentés comme des gens extrêmement raisonnables, mesurés, pragmatiques encore une fois, et dont la vision politique est convaincante et efficace.
De trois: c'est surement là le coté le plus intéressant du livre, c'est lorsqu'il présente la vitalité de l'islam. Houellebecq est très subtil lorsqu'il s'agit de présenter l'attrait que peut avoir la foi musulmane. Pour des européens fatigués tels que nous, il s'agit d'une philosophie incroyablement dynamique, porteuse d'un vrai projet. Il effectue à ce sujet un parallèle intéressant avec la situation de son ex, Myriam, qui se retrouve en Israël: elle reconnait que la situation est pire là-bas mais au moins est-elle stimulante, là au moins a-t-elle l'impression d'accomplir quelque chose qui a un sens. C'est lorsqu'il met en opposition la fatigue de l'occident chrétien et la force presque juvénile de l'islam qu'il fait la propagande la plus convaincante de la religion mahométane. On finit par se dire qu'en effet, peut-être, est-elle la solution à l'épuisement de nos démocraties et aux excès de l'individualisme post-capitaliste.
Soumission fait l'effet d'un véritable itinéraire huysmansien, du désespoir à la croix, ici remplacée par le croissant de lune, celui d'une conversion presque sincère. Je dis bien presque parce que Houellebecq reste lui-même et admet qu'il ne peut en toute bonne foi se résoudre au mysticisme religieux. Néanmoins, il accepte que pour sortir de l'impasse de la dépression, il est sans doute nécessaire de se rendre à un principe plus grand que soi-même, que pour trouver un sens à sa vie et échapper au suicide il faut s'en remettre à la formule éprouvée de la religion. On peut remettre en cause cette sincérité, mais il reste que la Soumission semble une réponse pertinente à ce qui a toujours été le problème de l'existence pour Houellebecq: l'impasse de l'individualisme et de l'hédonisme modernes hérités de la génération du baby boom.
Alors oui, certaines réflexions, notamment sur le statut des femmes, peuvent prêter à caution, mais si Houellebecq était connu comme un grand féministe, ça se saurait... toujours est-il que, à tous égards, Soumission est un livre assez mesuré. Par ailleurs, je pense qu'il est un avertissement, voire un constat accablant, de la faillite des partis politiques traditionnels, incapables de régénérer le débat politique actuel. Il montre très habilement comment cette désillusion se traduit par le désir d'un changement radical. Le simple fait qu'il ait refusé au front national et ses séides identitaires le droit de l'incarner illustre assez bien sa perspicacité politique.
Au final, je pense que ce livre déplaira surtout à ceux qui ne partagent pas son avis sur l'échec de la démocratie européenne. On peut accuser Houellebeq d'être quelqu'un qui a cessé de croire que notre système politique et social est le meilleur qu'il est possible d'imaginer, c'est certain, mais est-ce vraiment là quelque chose dont on peut le blâmer?
Si l'on ajoute à cela que ce livre est stylistiquement fidèle à ce que l'on en est venu à attendre de lui, que peut-on vraiment demander de plus?