Belle écriture (je parle de l'original; je n'ai pas lu la traduction). Une utilisation assez ingénieuse des flashbacks et des phrases sans verbe (d'ailleurs, je propose d'attribuer à ESJM le titre de Grande Mamamouchi des phrases descriptives qui tombent du ciel comme un chapeau parfait sur la tête du lecteur). Personnages intéressants, même si pas foncièrement originaux.
Mais soyons franc: tout ça n'est pas vraiment de la SF. Disons, c'est à la SF ce qu'un film de Chabrol est à la gastronomie. Les amateurs de littérature mainstream trouveront ça SF parce que ça se passe dans l'avenir (20 ans après la fin de la civilisation). Et les dénicheurs de prophètes ne manqueront pas de signaler que ESJM a décrit une pandémie cinq ans avant celle de Covid. Mais bon: qui ne l'a pas fait? En vérité, ce roman qui parle de l'avenir de l'espèce humaine n'est autre que la version optimiste de La route, de McCormack.
Le gros problème, c'est qu'une coïncidence majeure dans un récit, ça va.. deux coïncidences, c'est intrigant.. trois coïncidences, ça commence à démanger.. et au-delà de quatre, on n'y croit plus. Or, les coïncidences, Station Eleven en compte un nombre un peu trop conséquent. Pour mon goût, en tout cas.
Surtout, je ne vois pas bien la pertinence d'axer tout le récit sur la mort en scène d'un acteur shakespearien. Parce que "le monde est un théâtre"? OK. Yeah, well.. What else is new? C'est l'une des choses qui m'a manqué dans ce roman, certes nettement supérieur à presque tout ce qui fait actuellement (cf. le grotesque Axiom's end de Lindsay Ellis ou les trucs boursouflés du surcoté Michel Faber) : un propos vraiment neuf; quelque chose à se mettre sous la cervelle pour la faire ronronner.
La meilleure nouvelle, c'est qu'il y a une sérieTV adaptée du roman; vu qu'il y a Mackenzie Davis qui joue dedans, je suis JPS (joie pur sucre)!
Remarque: tout de même, j'ai failli décrocher dès le début, quand le personnage de Clark, averti de l'épidémie, va remplir sept caddies au supermarché, et les entrepose un à un sur le trottoir avant de les pousser, tout seul, chez son frère. What? Personne ne les vole? Il m'a fallu un moment pour me souvenir que ça se passait au Canada et que, donc, c'était tout à fait normal. Ouf! Quoi qu'il en soit, je mets au défi Ms St John Mandel de réussir à pousser seule sept chariots pleins à ras-bord sur un trottoir enneigé, puis à les décharger et monter le tout au Xe étage d'un immeuble!
Après quelques jours de réflexion, je trouve qu'il ne reste plus grand-chose dans ce roman à se mettre sous la dent. Le manque d'idées et de profondeur est vraiment embarrassant; je sais bien que c'est la mode de ne pas prendre parti sur quoi que ce soit, sans doute afin de "ménager les susceptibilités du lectorat", mais justement, cette politique consensuelle générale est désolante. Que les éditeurs de best-sellers en soient responsables, ou que les auteurs s'autocensurent pour améliorer leurs chances de succès importe peu; cela ne fait honneur à personne. Le populisme ne nourrit que les estomacs, pas les cerveaux. J'espère vivre assez vieux pour connaître la fin de cette ère Harry Potter.
(Je fais ici le pari que la série sera bourrée d'ellipses, très pratiques pour (ne pas) expliquer les trous et les facilités du récit).
Post-Videum: bon, j'ai essayé de regarder la série; j'ai craqué d'ennui au bout de deux épisodes, à peine. What's the whole point? (Quant au coup des sept caddies, j'ai gagné mon pari: l'acteur n'en pousse que cinq, et encore, il n'est pas seul à pousser.)