J'ai croisé la route de ce roman au cours de ma vie de cinéphile plus ou moins avertie. C'est en voyant le travail d'adaptation qu'en a tiré Richard Linklater que j'en ai entendu parler sans le lire pour autant. Shame on me. Avec son film en prises de vue rotoscopique "A scanner Darkly" il a l'heur de proposer à Keanu Reeves un rôle où il a l'excuse d'être rotoscopé pour être aussi expressif qu'une endive même pas braisée sans qu'on le trouve insupportable. Récemment, on m'a mis le roman entre les mains et je me suis donc intéressée au matériau d'origine de cette substance mort.
Comment confronter cette oeuvre à une quelconque volonté d'analyse ?
Autant prévenir mon lecteur tout de suite, nous ne sommes pas dans un roman de science fiction mais plutôt de l'hyperréalisme, une plongée cauchemardesque dans le monde de la dépendance. En cela, j'ai beaucoup pensé en parcourant ce texte à l'oeuvre de Chuck Palahniuk que je connais mieux. Nous avons sous les yeux l'oeuvre la plus personnelle de son auteur qui recelle donc une grande part autobiographique.
Il s'agit plutôt d'une projection d'une dérive sociétale telle qu'elle pourrait apparaitre sans difficulté. L'auteur nous parle d'un univers de drogués, de gens accros à une substance qui leur permet de ne pas vivre dans la réalité.
Les êtres humains qu'ils côtoient ne sont rien d'autre que des passe-temps, des moyens de s'approvisionner...
Un drogué n'est plus un être humain, c'est un fantôme guidé par son addiction. Il perd le sens des priorités, de ce qui est bon pour lui, de ce qui est réel ou pas, toute rationnalité. Rien d'autre ne compte que le produit, la peur du manque. L'individu est vampirisé, anihilé par ce qu'il absorbe et subit donc une punition disproportionnée à la faute commise d ene pas s'être plié aux diktats des straights bien pensants de la civilisation du fric et du flic.
Dans cette société où tout est formaté, dans laquelle rien ne doit dépasser, chaque être humain, chaque personnage plutôt, se doit d'être conforme à la règle établie.
"Illettrées les nanas ! C'est à peine si elle sait lire ou écrire. Et après ? Ce qui compte, c'est les nibards"
Comment garder un semblant d'acquité intellectuelle, de perspicacité quand on en arrive au paradoxe total, à savoir enquêter sur soi-même. Double vie, double identité. Fred, agent infiltré de la brigade des stups est à la poursuite de dealers. Son alias, Bob Arctor est accroc à la substance M. Il se voit confier par son supérieur la mission d'enquêter sur sa propre vie, de faire le rapport de ses activités quotidiennes sans révéler qui il est à son employeur et sa réelle activité professionnelle à ses colocataires. Là intervient l'invention absolument géniale du roman : le complet brouillé ! La cape d'invisibilité de Harry Potter aves 30 ans d'avance et en mieux. Une trouvaille de génie pour symboliser la disparition de l'identité du junkie dans un cas ou de la personne derrière les conventions sociales qui étouffent les personnalités.
Nous avons donc un héros à multiples facettes qui baigne dans une schizophrénie latente.
Arctor/Fred emporte son lecteur dans un univers où la paranoïa règne en maîtresse absolue, où on se méfie de tous et de tout. Il est important pour survivre hors les marges, de savoir que l'on ne peut compter sur personne car même notre meilleur ami peut nous vendre contre quelques grammes de substance M s'il en vient à craindre le manque. Si cette peur, cette paranoïa, cette folie sont si bien exposés ici c'est que l'auteur partage ni plus ni moins que ce qu'il a vécu, ressenti et expérimenté pendant les années précédant l'écriture de ce roman.
Merci à celui qui m'a fait lire Substance mort, à mon tour de lui faire découvrir son adaptation A scanner darkly pour une étude comparative.
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