Le (premier) grand roman d'un grand auteur.
Un père et son fils partent un an sur une île d'Alaska pour un retour à la nature censé les rapprocher et ressouder des liens distendus par les années, le divorce et les manquements du père.
Rapidement rattrapés par la solitude, la rudesse du climat et de la vie sauvage, le manque de confort, les deux hommes doivent faire face au doute et à la peur. Ils vont rapidement s'affronter dans une atmosphère qui devient oppressante et même étouffante jusqu'au drame brutal, à la fois prévisible et totalement inattendu.
C'est une terrifiante plongée au plus profond de l'âme d'un homme rongé par ses obsessions, ses doutes et ses faiblesses sous le regard de son fils adolescent, entre amour et déception. La nature, loin d'être un simple cadre à l'histoire est le véritable reflet des émotions et des événements, changeante comme le père, tout à la fois superbe et cruelle, nature qui nourrit et qui tue, terriblement présente en tout cas (genre du Nature writing, qui donne son nom à la collection et qui est la véritable vitrine des éditions Gallmeister).
Le père est un personnage ambivalent, personnage central qu'on ne peut véritablement détester mais qu'on méprise très rapidement et tout au long du récit. Le fils, lui, est le vibrant symbole de l'échec du père.
Ce roman déjà terriblement prenant et marquant à la première lecture bénéficie d'un nouvel éclairage lorsqu'on en apprend davantage sur le passé familial de l'auteur, et notamment à la lecture de l'un de ses ouvrages suivants: "Dernier jour sur terre". On y apprend que le père de l'histoire est clairement inspiré de son propre père, qui s'est suicidé lorsqu'il était adolescent et qui avait nourri le même projet que celui de Sukkwan island à savoir emmener son fils adolescent passer un an sur une île d'Alaska, coupés de tout, entre hommes. David Vann a refusé à l'époque et avoue avoir culpabilisé à l'idée que le suicide de son père pouvait être lié à ce refus. Sukkwan island est sans doute sa réponse, le moyen d'exorciser ou tout du moins d'essayer de comprendre l'état d'esprit et le cheminement de pensées de cet homme ainsi que son geste définitif. En relisant ce roman, on frémit d'autant plus à l'idée de ce qui aurait pu se passer s'il avait accédé à sa demande.
Pour conclure, il s'agit d'un premier roman qui a d'emblée imposé David Vann comme un grand auteur, à suivre et qui avait des choses à exorciser et à partager, dans un style très vif, souvent crû dans ses descriptions mais qui marque les esprits de manière durable. Il a d'ailleurs obtenu le prix Medicis en 2010 pour cet ouvrage.
Le grand roman d'un grand auteur.