J'émerge enfin du (très sombre) dernier roman d'Andrée A. Michaud - et ce simple "enfin" devrait déjà suffire à laisser entendre ce que j'en ai pensé.


J'avais tant aimé Bondrée que j'attendais forcément beaucoup (trop?) de ce nouveau volume dont le synopsis semblait très alléchant. Connaissant le talent de la dame pour installer des ambiances ténébreuses sur un scénario solide, j'avais grand hâte de me plonger dans cette histoire de montagne hantée et de disparitions inquiétantes.


Le livre s'articule en deux parties, qui forment deux histoires qui partagent un paysage commun : celui du Massif Bleu, véritable personnage du récit. Dans la première partie (qui m'a évoqué Chien-loup de Serge Joncour et Trois fois la fin du monde de Sophie Divry), le lecteur rencontre Marie Saintonge, une femme qui débarque dans le chalet reculé d'un oncle récemment décédé qui lui avait fait promettre de s'y rendre, sans vraiment lui expliquer pourquoi. Rapidement, la jeune femme se retrouve prise dans une tempête monumentale et contrainte de rester dans cette demeure manifestement menaçante. Totalement livrée à elle-même. Un soir, un homme étrange et silencieux (un certain "Franck") vient trouver refuge dans son salon, puis repart sans un mot. Elle apprend par la radio que l'individu a été retrouvé mort. Peu à peu, au gré des bouteilles d'alcool qu'elle consommera à haute dose (tout comme le héros de la seconde histoire, d'ailleurs), Marie bascule peu à peu dans une forme de folie (ou est-ce le lieu qui la rend dingue ?) qui la conduit à vivre et revivre la scène de l'homme perdu (comme dans "Un jour sans fin"). Au fil du temps, elle commence à avoir des hallucinations, de bizarres personnages apparaissent sur les murs (les "bonhommes allumettes" qui seront aussi le fil rouge du second récit) et Marie sombre, chaque jour davantage, dans une sauvagerie tout juste interrompue par l'enquête de flics venus fureter dans les parages et enquêtant sur la mort de Franck.


Cette première partie m'a posé plusieurs problèmes, à commencer par l'héroïne, que je n'ai pas trouvée attachante et dont le lecteur peine à comprendre les motivations. Le récit s'étale en longueur et semble parfois absurde et décousu. Le lecteur se mélange les pinceaux entre les différentes visions de la jeune femme et ne sait plus vraiment démêler le vrai du faux (ce qui était peut-être le but de l'auteur). Impressions désagréables amplifiées par le non-dénouement de cette première partie.


Le second récit s'intéresse à Ric Dubois, un nègre chargé d'écrire les romans d'un auteur à succès, auteur qui vient d'être retrouvé mort dans des circonstances bizarres. Désireux d'achever le roman qui était en cours, Ric se rend sur les lieux du récit (sordide), au coeur des Chutes Rouges bordées par la "Red River". Il s'installe dans un camping et commence à fouiner dans les alentours pour nourrir son histoire (et espérer toucher les 75 000 dollars promis par l'éditeur). Comme dans la première partie, le héros boit comme un trou, est solitaire, les éléments se déchaînent et sont des personnages à part entière de l'histoire, comme l'indique le titre. Ric rencontre tout une galerie de personnages dans le camping, tous sont étranges et semblent menaçants ou menacés. Très vite, on retrouve des membres du camping noyés, Ric sent des présences fantomatiques, d'étranges dessins macabres fleurissent ça et là... Le nègre comprend bien vite que le récit qu'il écrit prend vie sous ses yeux, et que le réel et la fiction s'emmêlent inextricablement. Andrée Michaud nous invite à une réflexion autour de la puissance performative de l'écriture, qui peut être intéressante.


Toutefois, j'ai peiné à poursuivre car le récit est une nouvelle fois longuet, ne semble pas vraiment savoir où il va, ne livre pas vraiment d'explications, joue un peu trop sur les ombres et les fantômes et les visions évanescentes. Trop de surnaturel et de mystérieux qui finissent par entamer la solidité et la crédibilité du scénario. Malgré une atmosphère très réussie, portée par un style d'excellente facture (surtout pour un polar), malgré le réjouissant lexique québécois ("saprée", "à siaux", "gomme balloune", "frencher", "crinquée", "joualvert", "pygargue", "s'enfarger" et j'en passe, qui aurait nécessité un glossaire!) qui offre toujours une saveur très pittoresque à l'histoire, je n'ai pas réussi à prendre le plaisir que j'aurais souhaité et je le regrette.


La forme est bien là, le fond manque quelque peu de substance et de vraisemblance : voilà pour moi le souci de ce nouveau roman d'Andrée Michaud, dont je vais toutefois continuer à explorer l'oeuvre.


Pour cette fois, je crisse mon camp d'ici !

BrunePlatine
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le 30 juin 2020

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