C'est en lisant la critique de ce roman écrite par un de mes éclaireurs (Carolectrice) que j'ai réalisé que je connaissais cette histoire à travers un film Tess de Roman Polanski que j'avais vu à sa sortie en 1979 ou 1980.
Je ne connaissais ni le roman ni l'auteur Thomas Hardy. C'est donc une double découverte d'un ouvrage qui semble être un grand classique outre-manche et d'un auteur britannique de la deuxième moitié du XIXème. Même si ce que j'ai lu à propos de Thomas Hardy avant d'écrire cette chronique ne semble pas le confirmer, je classe quand même cet auteur parmi les romantiques.
Car il s'agit bien d'une histoire furieusement romantique qui se passe dans une société campagnarde, dans le Dorset et qui met en scène la lente mais inexorable descente aux enfers d'une jeune fille, Tess, issue d'un milieu modeste. Même si son père découvre par hasard une illustre origine aristocratique de sa famille qui finalement sera une des causes des malheurs de Tess.
Le roman, disais-je, se passe dans le Dorset qui est aujourd'hui est une charmante région agricole que j'aime bien pour ses paysages et ses petits villages typiques (sans oublier les grandes villes côtières qui ne sont pas sans rappeler les "équivalentes" normandes de l'autre côté du Channel). A l'époque de Thomas Hardy, c'est semble-t-il une région arriérée et refermée sur elle-même, loin de tout, confite dans des superstitions païennes, pétrie d'un rigorisme religieux sans issue. Pas loin, au nord du Dorset, on trouve les somptueuses ruines de Stonehenge dont il sera question d'ailleurs dans le roman.
D'ailleurs, c'est quelque chose qui m'a frappé tout au long de la lecture du roman, cette coexistence entre foi (on pourrait parler d'asservissement et de contrainte) chrétienne et foi païenne (traditions des fêtes des moissons par exemple, superstitions, ...) qui s'opposent dans la vie. La première régente la vie sociale, bien orchestrée par la bourgeoisie anglicane en opposition avec la seconde, beaucoup plus populaire qui accompagne plutôt la vie intime et amoureuse.
On retrouvera constamment cette dualité dans la conception de la pureté d'un individu en effaçant le comportement vrai au profit de règles strictes en application directe des commandements de l'Eglise. Cette dualité est étouffée par la responsabilisation écrasante de la femme dans tout ce qui concerne la vie intime et sexuelle pour la simple raison, qu'en la matière, les choses sont toujours visibles ou vérifiables chez la femme. Je veux dire par là, juste pour prendre un exemple, que l'amour entre Angel Clare et Tess est, dès l'origine, complètement bancal dans la mesure où Angel a une vision théorique et idéalisée de la femme et de la pureté alors que Tess, par la force de bien des choses, est simplement en prise avec la vraie vie et mesure parfaitement sa situation. C'est une clé du drame dans le roman.
Trois personnages essentiels dans le roman.
Tess est une jeune fille qui semble posséder du caractère et de la clairvoyance. Face à la veulerie de son père et la paresse de sa mère, c'est elle qui montre de la vitalité dans la conduite de sa famille. C'est le beau personnage du roman que Thomas Hardy décrit avec énormément d'empathie et de compréhension. Tout lecteur (normalement constitué) ne peut qu'être séduit, (amoureux ?) de cette jeune fille. Thomas Hardy s'attache à démontrer à chaque ligne qu'elle est l'image de la vraie pureté en opposition avec l'archaïsme religieux du point de vue d'Angel Clare. Et le lecteur a envie tout au long du roman de protéger cette jeune fille mais aussi parfois de la secouer pour qu'elle réagisse et prenne enfin sur elle de sortir, de s'évader de cette faute qu'on lui colle et qui la contraint. Pour résumer, Tess est un personnage qui a une grande force morale et une grande énergie mais elle est contrainte par les règles (qu'elle ne connait pas ou peu) qui l'inhibent. C'est en définitive une proie.
Angel Clare est le fils cadet d'une famille de pasteurs anglicans. Peu intéressé par le métier de pasteur, agnostique lui-même tendance un chouïa païen, il se tourne vers la vraie vie à savoir une carrière de fermier. Je ne reviens pas sur son amour pour Tess sinon pour dire qu'il est, malgré ses idées progressistes, englué par une éducation stricte et des règles sociales ancrées en lui. En fait, il est paumé ou ne sait pas aller au bout de ses idées. Même son attirance pour le paganisme grec ne lui permet pas de déciller ses yeux.
C'est en définitive, un faible et un instable. Même dans les dernières lignes du roman alors que tout est consommé et qu'il repart avec la sœur de Tess. A-t-il compris ? Pas sûr du tout.
Alec est le tentateur diabolique. Il est l'homme symbole du "deux poids, deux mesures". C'est un homme riche qui profite de la vie et n'a guère de scrupules. Il revêt plusieurs aspects du prédicateur charlatan au séducteur que rien n'arrête. C'est un prédateur.
La lecture du roman de Hardy m'est apparu comme plutôt complexe car le style est très riche, émaillé de nombreuses allusions mythologiques ou bibliques que j'aurais eu du mal à comprendre s'il n'y avait pas eu les nombreuses notes de l'édition. Thomas Hardy a aussi repris certains dialogues ou réflexions directement tirés de la littérature shakespearienne (Hamlet, notamment).
Au final, le roman de Thomas Hardy est un roman bouleversant, infiniment triste dont j'aurais tant voulu que ça puisse bien se terminer pour Tess. Je peux dire que j'ai espéré jusqu'au bout. Tellement j'étais agacé dans ma crainte que j'ai même fait quelque chose que je m'interdis toujours dans une première lecture d'un bon roman : c'est d'aller voir "rapidement" si Tess retrouve Angel et il m'a semblé que oui, ce qui m'avait rassuré … Au final, c'est oui et non …
"Tess d'Urberville" est un roman que je relirai très certainement (un jour) et dont il me faudra trouver (rapidement) le DVD…