Tombeau pour cinq cent mille soldats par Daylon
Pierre Guyotat est presque devenu, avec les années, une sorte de légende littéraire. Un secret (mollement, quand même) gardé par un segment, pas vraiment postmoderne, pas vraiment expérimental, pas forcément gauchiste, bref, un segment de lettrés.
C'est dans la (elle aussi mythique) collection de l'Imaginaire Gallimard que l'ont retrouvera le fac-similé de sa première oeuvre, Tombeau 500000 soldats, chant douloureux et métaphore à peine voilée de la guerre d'Algérie (il est généralement de bon ton se signaler que 1) l'auteur fut un appelé 2) puis incarcéré pour motifs divers et variés auxquels nous comptons l'insubordination et la désertion 3) par la suite, l'auteur se verra interdire Eden Eden Eden par les autorités).
Comment parler du livre?
500 pages lyriques, 7 chants sans temps mort (qui, contrairement au néanmoins sympathique Zone de Mathias Énard, ne sont *réellement* composés chacun que d'une seule phrase), violents, aliénés, noyés dans l'énumération; mélangeant esclaves et colons, tanks, traditions séculaires, sadismes, atrocités, le sexe de toutes les manières possibles, surtout les déviantes; des enfants écrasés sous les chenilles de véhicules lourds, de la poussière, du sang, encore, tous les extrêmes mêlés dans un pays décalque des dernières années de l'Algérie coloniale.
Alors, seul problème: le lecteur est une petite chose fragile, apeurée; les éditeurs l'ont bien compris.
Ils l'ont tellement compris (et en particulier la personne qui fut chargée d'éditer le texte sur son édition originale -?-) qu'ils se sentirent obligés d'ajouter des césures dans un monolithe qui n'en avait pas besoin.
Résultat: une lecture faussement aérée et un projet un peu dilué. Pire, en fait: l'écriture étant un chant romancé, des dialogues sautent ou se retrouvent coupés au mauvais endroit, cassant parfois une narration que le lecteur essaiera tant bien que mal de recoller.
Espérons que ce genre de défaut disparaisse dans une prochaine édition (ah ah ah) et que l'on retrouve ces sept champs guerriers dans toute leur puissance et leur hermétisme.
Tombeau pour 500000 soldats ne ménage pas son lecteur mais le récompense, s'il accepte se plonger corps et âme dans l'horreur d'Ecbatane.