Critique de Tonio Kröger par P_hey_ho
Personnage complexe, BIM, interrogation existentielle en corps à corps avec la réalité sociale, BAM, manifeste artistique BOUM. Des questions, les cornichons?
Par
le 1 déc. 2015
2 j'aime
Tonio Kröger c'est un homme mal dans sa peau, tiraillé entre son envie d'être un bourgeois rangé et celle d'être un artiste torturé.
C'est sans doute car l'oeuvre a très très largement inspiré Le Loup de steppes d'Hermann Hesse que j'ai lu il y a quelques années qu'il a été plus difficile d'adhérer à celle-ci. En effet, il n'existe pas de différences fondamentales entre ce brave Harry Haller, lui aussi étranglé entre deux existences (l'une à laquelle il est condamné, l'autre à laquelle il ne parvient pas à s'agréger) et Tonio Kröger.
On peut aussi voir en Tonio le grand frère de Torless, le personnage de Musil dans Les Désarrois de l'élève Torless. Là encore, les doutes du personnage, son sentiment de vivre en décalage avec la société de son temps, l'impossibilité d'adhérer pleinement à la vie elle-même, sont autant de thèmes qui apparaissent déjà, plus succinctement, dans l'oeuvre de Mann.
Mais, à la différence des oeuvres de Musil et de Hesse, celle de Mann ne fait que survoler les potentialités de son personnage. On ne fait qu'effleurer ses tiraillements existentiels, qu'entrevoir les puissances qui l'assaillent.
En ce sens, l'intérêt de l'oeuvre réside principalement dans sa conception de la création comme renoncement à la vie. En effet, Tonio Kroger, à la différence de ses petits frères, arbore rapidement ce visage de l'artiste maudit, forçat de son art, obligé de ses propres écrits (on retrouve très vaguement cette question dans Le Loup des steppes, à la différence près que celle-ci semble bien plus lié à l'ego d'Harry Haller qu'à l'art en tant que tel).
Dans Tonio Kröger, la création devient cette ouverture sur l'âme qui nous relève toute notre misère, nous éloigne de la candeur et de la simplicité, valeurs incarnées dans l'ouvrage par le couple Hans-Inge. L'artiste c'est cet être en dehors du monde, tout juste humain, incapable de sentir, encore moins de vivre ; en somme, un être fondamentalement maudit : "La littérature n'est pas une vocation, mais une malédiction".
C'est là tout le sens de l'expression "J'aimerais dormir mais tu dois danser" qui revient à de nombreuses reprises dans le roman. Elle n'est que l'expression du malheur de Tonio d'être forcé à mener "le combat de l'art", à exécuter cette danse ridicule, lorsque tout ce qu'il souhaite c'est dormir, vivre simplement, loin des torpeurs de son esprit, tranquille.
Ainsi, rendons à César ce qui est à César : sans l'influence de Mann, Musil et Hesse n'auraient peut-être pas usés avec la même force du topos de l'être double. C'est en ce sens qu'il faut lire Tonio Kröger, comme une oeuvre pionnière, posant avec justesse le débat philosophique lié à la place de l'artiste dans la société.
Créée
le 7 avr. 2019
Critique lue 509 fois
3 j'aime
D'autres avis sur Tonio Kröger
Personnage complexe, BIM, interrogation existentielle en corps à corps avec la réalité sociale, BAM, manifeste artistique BOUM. Des questions, les cornichons?
Par
le 1 déc. 2015
2 j'aime
Je viens de finir Tonio Kröger et j'ai beaucoup aimé. Je trouve que Thomas Mann écrit très bien et ses œuvres sont d'autant plus intéressantes lorsque tu as déjà prit connaissance de sa vie. Il y a...
Par
le 2 août 2023
ultra sous côté
le 29 avr. 2023
Du même critique
Marthe Robert dans cet essai consacré au genre romanesque se pose la question suivante : pourquoi écrit-on des romans ? Ou plutôt : pourquoi raconte-t-on des histoires ? Pour répondre à cette...
Par
le 12 mai 2020
8 j'aime
3
De quoi ça parle ? L'intrigue de La Lenteur se déroule en France ; l'action a pour cadre un château-relais où le narrateur et sa femme, Véra, décident de passer une nuit. Rapidement, les thèmes...
Par
le 3 févr. 2018
6 j'aime
Dans Mensonge romantique et vérité romanesque, René Girard oppose le roman romantique au roman romanesque : le premier est construit sur la dissimulation de la vérité ontologique de l’homme (son...
Par
le 6 nov. 2020
5 j'aime