Ce livre est un mille-feuille. Impossible de le définir comme une histoire unique sur un thème précis.
C'est la vie d'un homme simple, Ricardo. Issu d'un quartier aisé de Lima, au Pérou, son unique ambition est de faire sa vie à Paris. Cela aurait pu s'arrêter là: Ricardo est un homme facile, qui se laisse porter par la vie, au gré des rencontres, mais qui sait aussi provoquer et saisir les opportunités, et cela lui réussit plutôt bien. Mais Ricardo a rencontré la petite Chilienne Lily dans sa jeunesse, et s'en est éperdument épris. Il n'imaginait pas qu'il ne pourrait plus jamais se détacher de ce premier amour...
C'est un voyage dans le XXème siècle d'après-guerre, et dans les nombreuses expériences sociales, politiques et économiques de celui-ci, décrites avec beaucoup de scepticisme par l'auteur. A chaque disparition et réapparition de la petite Chilienne, "la vilaine fille", nous découvrons une destination et une époque nouvelle: en partant de Lima, au début des années cinquante, on traverse le Paris de la fin des années soixante, celui du mai 68, et puis Londres au début des années soixante-dix -où se produit vraiment la libération sexuelle, selon Ricardito-, on fait un saut à Tokyo, où "le jour et la nuit" ne qualifie pas seulement le temps qui passe, mais aussi l'écart extrême entre les règles de vie en société très strictes, et l'intimité secrète et pleine de vices insoupçonnés de ses habitants, puis un passage dans un Madrid très jeune et cosmopolite.
C'est un livre sur l'amitié, la solitude, les racines et les déracinés, la barrière des langages et leurs ponts. Pratiquement tous les personnages du roman sont étrangers au pays où ils vivent. Ricardo, qui devient interprète et traducteur dans plusieurs langues, souffre de se sentir étranger aussi bien en France, où il passe pourtant la majeure partie de sa vie, qu'au Pérou, son pays d'origine. C'est un personnage solitaire, mais dans toutes les étapes de sa vie, il a un ami indéfectible, comme un pilier transitoire, et surtout, merveilleux hasard, qui le remet sur la trace de la "vilaine fille".
C'est surtout l'histoire d'une femme libre, "la vilaine fille", et qui ne vit que pour gagner cette liberté, à tous prix. Une liberté synonyme de grande vie, d'argent, et de luxe, c'est-à-dire une vie que Ricardo ne pourrait jamais lui offrir. Une vie de tous les dangers, de tous les mensonges, de toutes les trahisons, mais une vie où l'amour et les "cucuteries" de Ricardo seraient toujours les bienvenues pour lui faire oublier qu'elle ne serait jamais qu'un rôle à jouer, une projection des fantasmes de chacun des puissants maris qu'elle se dégote pour accéder à cette liberté rêvée.
Mais c'est avant tout une véritable histoire d'amour. Celui dont on ne peut se défaire, malgré tous les efforts du monde. Celui pour lequel on sacrifierait tout, et la vie aussi. Celui dont on peut supporter les pires trahisons, les pires déceptions. Celui que l'on peut haïr autant qu'on l'aime. Celui dont on ne prend peut-être conscience qu'à l'approche du dernier soupir.
L'écriture de Mario Vargas Llosa est à la fois simple, en ce qu'elle ne s'alourdit pas d'effets de styles ou de constructions superficiels, et profonde, en ce qu'elle explore jusqu'aux méandres des contradictions humaines. Il réussit à merveille à nous mettre dans la peau de Ricardito, et à nous faire ressentir les mille sentiments qui l'animent au contact de la vilaine fille. Jamais il ne prend le point de vue de la vilaine fille, mais on devine qu'au fond de ce personnage d'apparence froid, il y a un cœur qui s'embrase...
Un cadeau éClairé...