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L'univers de la philosophie est sans limite, les philosophes sont pléthores, et le lecteur ne peut qu'être séduit par la promesse d'un ouvrage stipulant un accès direct à la pensée des grands philosophes en toute simplicité (même s'il sait déjà dans son for intérieur l'impossibilité de tenir une telle promesse).


Cet ouvrage a été rédigé par 6 philosophes et universitaires anglais : Will Buckingham, Douglas Burnham, Clive Hill, John Marenbon et Marcus Weeks. Il commence par un paragraphe les présentant succinctement, puis par un sommaire listant les 107 philosophes évoqués, chacun avec la petite phrase retenue. Vient ensuite l'introduction de 6 pages qui évoque les domaines de réflexion de la philosophie, ainsi que ses liens avec les mathématiques, la logique, la politique, l'histoire.


Le livre est décomposée en 6 périodes par ordre chronologique : (1) la philosophie antique, (2) la philosophie médiévale, (3) la philosophie de la renaissance à l'âge classique, (4) la philosophie moderne, (5) la philosophie au XXème siècle, (6) la philosophie contemporaine. Il débute par Thalès de Milet et termine avec Slavoj Zizek. Chaque période commence par une introduction de 2 pages, assortie d'une frise chronologique répertoriant quelques événements marquants de la période, ainsi que quelques noms de grands philosophes.


En fonction de l'importance donnée à chaque philosophe par les auteurs, ils leur accordent de 1 à 6 pages. Pour les philosophes ne bénéficiant que d'une page, il y a un logo sensé évoquer leur pensée (icône conceptuelle plutôt moins parlante que plus), la petite phrase choisie (par exemple "Tout est flux" pour Héraclite), une colonne consacrée au contexte de l'auteur (branche de la philosophie, approche philosophique, le ou les concepts en vigueur avant, et les concepts développés après), ainsi que le corps du texte qui présente le concept retenu, avec parfois une citation supplémentaire.


Les auteurs jugés plus importants bénéficient en plus d'une courte biographie, d'un schéma mettant en scène la logique du concept retenu, de quelques citations supplémentaires (de 1 à 5), et d'éventuellement quelques photographies choisies pour leur pertinence quant au thème développé. Chaque entrée respecte ce schéma rigoureux.


Le livre se termine avec un répertoire évoquant 59 autres philosophes (en 1 court paragraphe par personne), un glossaire et un index pour finir avec les crédits photographiques.


Dans un premier temps, la couverture ne donne pas envie d'ouvrir le livre : du jaune pétant, avec des citations jetées pêle-mêle. Mais la curiosité aidant, le lecteur se surprend à les déchiffrer et il se rend compte qu'il a immédiatement un avis sur ces courtes phrases. Cela va d'un rejet définitif sur une idiotie (Ce qui est ne peut être vrai), à un assentiment sans réserve (Je pense donc je suis), en passant par une incompréhension totale (L'homme est quelque chose qu'il faut surmonter). Une fois qu'il s'est décidé à se plonger dans cette lecture, il se sent guidé à commencer par le début, c'est-à-dire aborder les philosophes dans un ordre chronologique.


Le premier n'a rien de très attractif : Thalès de Milet (-624 à -547) et sa citation "L'eau comme principe de toute chose". Cette dernière n'a rien de très claire ou parlante, et le commentaire de texte peine à accrocher le lecteur. Fort heureusement les suivants sont plus exotiques ou plus connus et permettent de s'adapter doucement à cette forme de présentation : Lao Tseu, Pythagore, Siddhârtha Gautama, Confucius. Le lecteur a l'impression que cet ouvrage va embrasser la pensée philosophique à l'échelle de la planète sans distinction de provenance. En fait par la suite, il sera essentiellement question de philosophes européens et plus tard américains. Ceux des autres continents ne refont leur apparition qu'au vingtième siècle.


Arrivé à la page 40, le lecteur a le plaisir de voir que le sujet est Héraclite, pour lequel les auteurs ont retenu la phrase "Tout est flux". Il se produit alors un effet étrange. Pour un être humain occidental du vingt-et-unième siècle, cet aphorisme prend une signification très concrète. L'omniprésence des nouvelles technologies de l'information a effectivement eu pour conséquence une accélération des flux d'information, s'accompagnant également d'une accélération de la gestion de ces flux. Oui, au vingt-et-unième siècle, tout est flux. L'autre effet déstabilisant est que les auteurs ont préféré cet aphorisme à celui plus connu d'Héraclite qui veut qu'on ne se baigne jamais 2 fois dans le même fleuve. De surcroît l'explication donnée est claire, avec une dimension critique.


Quelques pages plus loin, Socrate et Platon ont droit à 4 pages chacun (contre 1 seule pour Héraclite), comme il se doit. À nouveau la petite phrase accroche immédiatement le lecteur et le texte est à la fois pédagogique et critique. Il est écrit dans une langue concise, sans être de l'oral, débarrassée des effets de style de ces auteurs. Ces 4 pages sont denses, et la mise en page variée (avec petit bandeau à droite pour situer l'auteur, encart pour retracer les principaux éléments biographiques, une ou deux autres citations, et un petit logigramme) aboutit à une exposition sous plusieurs formes qui se complètent et qui viennent alléger la densité du texte.


Le collectif d'auteur ayant appliqué la même construction pour chaque auteur, le lecteur se familiarise avec cette présentation efficace, dont la structure s'avère intelligente et parlante. Les introductions de 2 pages pour chacune des 6 périodes apportent des informations très choisies (donc orientées) et pertinentes au regard des auteurs abordés par la suite. La barre à gauche qui situe le philosophe dans les branches de la philosophie est précieuse pour établir un lien avec les penseurs passés, ou à venir. Le logo en haut à gauche de la première a bien du mal à transcrire en image la pensée de l'auteur. Par contre, les petits logigrammes structurés sur la citation principale s'avèrent très précieux comme outil de compréhension, car ils permettent de visualiser l'articulation et la logique du raisonnement.


Après la lecture du texte consacré au philosophe, chaque citation s'éclaire, et le lecteur comprend ce qu'elle signifie (sans pour autant se sentir obligé d'être d'accord avec). La qualité pédagogique de l'ouvrage est épatante. Les pages sont denses, mais jamais absconses. Petit à petit le lecteur acquiert la conviction qu'il a enfin tout copris à la philosophie et que cet unique ouvrage lui donne une vision globale quasi complète, jusqu'à ce que...


... jusqu'à ce qu'au détour d'un autre philosophe, il découvre une citation d'un auteur dont il a déjà lu l'entrée, mais qui n'a rien à voir avec ce qui y était développé. Loin d'essayer de faire croire au lecteur qu'en 2 pages il sait tout de l'œuvre d'un auteur, ces références à d'autres pans de sa pensée montrent qu'il n'est pas possible de le réduire à une seule idée phare, détrompant le lecteur sur son idée de tout savoir. De même d'autres philosophes sont évoqués qui n'apparaissent pas dans cet ouvrage, ce qui dissipe tout malentendu sur une éventuelle complétude (sans parler de l'évocation trop succincte de 59 autres philosophes en fin d'ouvrage).


Au fil des pages consacrées à ces 107 philosophes, le lecteur constate donc l'acuité de la pensée, la précision des commentaires, ainsi que les choix opérés par les rédacteurs de cet ouvrage. À l'évidence, le nombre de pages allouées à un philosophe atteste de l'importance que les auteurs lui donnent. Ainsi René Descartes a droit à 6 pages pour son "Je pense donc je suis", sans grande surprise. Jean-Jacques Rousseau a droit à 4 pages pour un motif clairement expliqué dans les commentaires. Hannah Arendt n'a droit qu'à une page, alors que Simone de Beauvoir a droit à 2 pages. Il s'agit de choix subjectifs et le lecteur regrettera forcément l'omission d'un auteur, en discutant sur l'inclusion d'un autre. De même la faible représentation de l'Orient, du Moyen-Orient, de l'Asie ou de l'Afrique peut se discuter. Ces choix découlent du fait que l'histoire ne nous appartient pas, c'est nous qui lui appartenons (Hans-Georg Gadamer). Bien sûr ces remarques découlent du fait qu'il n'y a pas de hors-texte (Jacques Derrida).


La lecture de cet ouvrage très riche produit bien d'autres effets que la simple découverte (et explication) de petites phrases célèbres de philosophes connus. Pour continuer, elle enrichit le vocabulaire du lecteur (surtout s'il est novice en la matière). Impossible d'oublier le sens du mot sémiologie après ces 300 pages. Pour un amateur de littérature classique, il resitue avec précision quelques concepts qui ont marqué de grands écrivains. Par exemple, il est possible de situer d'où vient l'idée que l'homme est une machine (Thomas Hobbes), ou encore pourquoi il n'est pas possible de retourner à l'état de nature du fait que l'homme est un animal qui pratique l'échange (Adam Smith).


Cette lecture peut également produire un autre effet inattendu : la perte de repères. Au fur et à mesure des pages peut s'insinuer l'impression que donc tout se vaut, que les théories s'empilent, se contredisant sans pour autant s'annuler ou se remplacer. Pire encore, Albert Camus déclare que la vie ne sera jamais mieux vécue que si elle dénuée de sens, à ce lecteur qui s'est plongé dans ce livre pour y trouver un sens. Arrivera-t-il à suivre le conseil d'Arne Naess et à penser comme une montagne, se raccrochera-t-il au fait que le savoir est pouvoir (Francis Bacon), ou préférera-t-il ne rien savoir car c'est le plus grand bonheur (Érasme) ? En tout cas, il est condamné à être libre (Jean-Paul Sartre).

Presence
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le 5 mars 2019

Critique lue 772 fois

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