Lu deux fois, à dix ans d'intervalle, la première fois en français, la seconde en anglais original. Bien sûr, j'ai d'abord connu le film, qui fait partie de mon panthéon personnel, et son esprit rock et destroy m'avaient poussé à jeter un œil au livre. La première lecture fut donc plutôt rude : le côté fun et libéré de l'adaptation de Danny Boyle semblait absent dans ce pavé un peu impénétrable aux innombrables personnages dont certains sortaient de nulle part, et au ton général bien plus sombre et dérangeant.


Finalement, à la relecture, un constat s'impose bien vite : Trainspotting est rigoureusement intraduisible, puisque Irvine Welsh y retranscrit phonétiquement l'accent écossais à couper au couteau de ses personnages, à des degrés différents en fonction du niveau d'études supposé de chaque personnage, au point de parfois ressembler très peu à de l'anglais académique. Honnêtement, je n'ai quasiment rien compris aux premières pages et j'ai dû faire beaucoup d'efforts, entre le pur déchiffrage des mots (qui demande une bonne compréhension de l'anglais à l'écrit mais aussi à l'oral) dont quasiment 50% sont transformés et l'argot écossais dont une bonne part reste mystérieuse. Mais finalement, comme je connais le film par cœur et que j'ai déjà pu frotter mon oreille à l'accent écossais dans pas mal de films ou séries, j'ai fini par prendre le pas. Et déjà, ce serait passer à côté d'une bonne part de l'intérêt du livre de ne pas le lire en version originale, cette langue déformée devenant très vite assez jouissive et permettant de différencier un peu plus les nombreux personnages dont certains apparaissent et disparaissent effectivement sans prévenir.


Si Mark Renton reste grosso modo le narrateur principal, le roman suit moins une structure classique "héros / péripéties" que le film. Le jeune junkie est là plus simplement un observateur froid et externe de son environnement, qui dresse un tableau acide du Édimbourg des années 80, où les moments de bonheur désuet surnagent dans un quotidien largement déprimant. On retrouve bien cet esprit de fougue et de liberté exacerbé dans le film, mais il n'a ici pas grand-chose de romantique, la noirceur allant parfois beaucoup, beaucoup plus loin : on ne s'étonne guère que Danny Boyle ait rechigné à inclure le passage où un personnage fait semblant de sympathiser pendant des semaines avec un malade du sida à un groupe de soutien pour lui mettre sous le nez sur son lit de mort un polaroid de son bambin allongé dans une mare de sang (bambin endormi et arrosé de sang de cochon, mais tout de même) avant de lui écraser un coussin sur le visage, tout ça pour se venger de ce que l'autre a violé sa copine des années auparavant...


Au final, le bouquin se révèle surtout intéressant, et c'est un aspect qui transparait beaucoup moins dans le film, dans son traitement des rapports humains, ici tous lestés de jalousie et d'hypocrisie. Mark Renton est un misanthrope maladif qui n'aime aucun de ses amis, et il est difficile de lui donner tort tant ils forment une ribambelle de profiteurs, égoïstes et salopards.


C'est quand même un beau tour de force qu'Irvine Welsh soit parvenu à rendre une peinture aussi déprimante de la vie aussi drôle et facile à lire (après un petit temps d'adaptation). Il faut dire que dans leurs meilleurs moments, les personnages sont un sacrée bande de débiles puérils à l'idiotie magnifiée par ce dialecte à peine lisible. Mais derrière la légèreté apparente, c'est bien dans sa gravité que le bouquin se révèle mémorable, et même inoubliable, touchant juste sur d'innombrables aspects de la condition humaine et de l'époque.

idlewoodarian
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le 4 mai 2017

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