Trames - La Culture, tome 7 par thierryhornet
Le monde-gigogne de Sursamen abrite une quinzaine de niveaux et autant de formes de vies plus ou mois intelligentes, des Voilegraines, des Cumuloformes, des Vésiculaires, les megabaleines montiennes... Aux 8eme et 9eme niveaux vivent également deux races humanoïdes médiévales, les Sarles et les Deldeynes, en guerre ouverte. Une guerre très localisée qui, pourtant, cache des enjeux de pouvoirs largement plus vastes et qui ne va pas tarder à attirer la curiosité inquiète de la Culture.
Huit ans après Le sens du vent (Prix du Cafard cosmique 2003), Iain M. Banks revient au Cycle qui a fait de lui le grand rénovateur du Space opera.
Trames s’inscrit dans un cycle, le cycle de la Culture, dont chaque roman, complètement autonome, dépeint de nouveaux aspects d’un univers d’une ampleur et d’une complexité cosmiques.
Sans rentrer dans les détails, sachez (si vous n’avez pas encore tâté du cycle), que la Culture est une civilisation d’humanoïdes extrêmement avancée qui, il y a environ 9 000 ans, a établit dans l’espace une fédération qui compte sur le plan politique, par rapport à la grosse dizaine de civilisations ayant atteint l’âge spatial.
Hédoniste, portée à la justice et à la paix, la Culture obéit globalement à la règle qui veut que les plus avancées en civilisation s’interdisent d’intervenir dans les affaires des peuples plus jeunes, laissant chaque espèce vivre sa vie et trouver son chemin vers les étoiles, quitte à passer en attendant par des périodes de guerre, de tyrannie voire de génocide sanglant.
La réalité est souvent différente et, via une section baptisée Circonstances Spéciales, CS, la Culture se permet souvent quelques manipulations d’ordre chirurgicale pour défendre sa vision de l’équité, et ses intérêts bien compris.
Les premiers romans du cycle confrontent la Culture a quelques uns de ces mondes en voie d’apprentissage, et à cette ambiguïté qui veut que, pour servir la morale et la justice, ses agents recourent sans (toujours) grands scrupules à des moyens que justice et morale - justement - réprouvent. Sans compter avec l’implication des Mentaux, les intelligences artificielles qui en réalité dirigent la Culture et dont les objectifs n’apparaissent pas toujours clairement... enfin pas tout de suite.
Dans Excession, Banks commençait à situer la Culture dans un cadre plus vaste, une galaxie sillonnée par d’autres formes de vie très avancées, parfois beaucoup plus anciennes, parfois éteintes, parfois rivales.
Trames s’inscrit dans cette lignée : face à la Culture, il y a notamment les Morthanveldes, une espèce aquatique spiniforme toute aussi évoluée, qui veille sur le monde-gigogne de Sursamen.
Les monde-gigognes sont des énigmes de la taille d’une énorme planète, artefacts laissés derrière eux par les Involucrae, une race disparue sans qu’on sache pourquoi ni ce qu’elle comptait faire de ces globes enchassés. On n’en sait pas davantage sur cette autre race, les Ilnes qui, avant de disparaître à leur tour, s’étaient fixé pour objectif, partiellement atteint, de détruire tous les monde-gigognes...
Quant à la raison pour laquelle chacun de ces mondes creux abrite en son cœur un Xinthien solitaire, membre de cette race extrêmement ancienne que certains disent omnipuissante et d’autres décrépie, serez-vous étonné qu’on en ignore tout ?
Imbrication des niveaux dans Sursamen, juxtaposition des enjeux et des objectifs, "les plans dans les plans" aurait dit Frank Herbert : Trames s’articule autour de cette logique d’enchâssement. Toute la destinée de la civilisation humanoïde des Sarles est aux mains d’espèces supérieures qui, depuis les Tours qui soutiennent leur plafond artificiel, avancent leurs pions. Cependant qu’au-dessus de leurs têtes, à la surface, d’autres espèces encore bien supérieures tirent les ficelles, et que d’autres, dans l’espace, ajustent leurs stratégies.
Sur le champ de bataille d’un conflit moyennâgeux, qui voit les Sarles prendre enfin le dessus sur leurs rivaux ancestraux, les Deldeynes, le Prince Ferbin assiste impuissant à l’assassinat de son père, le Roi Hausk, par son plus fidèle général en chef, Tyl Loesp. Le récit débute donc avec ce quelque chose de shakespearien qui est la signature de Banks, sujet britannique. Le prince rescapé, Ferbin, prend la fuite avec un domestique plutôt malin, jurant de venger la mort de son père et de reprendre le trône.
Fracas des épées, montures volantes, cités médiévales, un monde de fantasy s’anime, enclos comme dans une boule à neige, au 8ème niveau du monde-gigogne, éclairé par les Roulétoiles, soleil-artificiels qui traversent le très lointain plafond du niveau.
Oramen, le fils cadet du Roi Hausk décédé, que son attrait pour les sciences et sa jeunesse avait retenu au palais pendant la guerre, devient Prince Régent pendant que le vil Tyl Loesp occupe le trône pour un interim qu’il espère ne jamais voir prendre fin...
Premier niveau d’intrigue.
La seule aide que Ferbin peut envisager est celle de sa soeur, Anaplian. Il ne l’a pas vue depuis qu’il y a quinze ans elle a quitté le monde-gigogne, offerte par le Roi pour service-rendu, à une civilisation Impliquée de Haut Niveau, la Culture.
Le voyage qu’entame Ferbin lui fera traverser les différents niveaux de Sursamen, rencontrer les espèces les plus étranges et observer certaines des merveilles de la galaxies. Banks peut ainsi promener agréablement son lecteur en distillant le moment venu quelques informations vitales sur le déroulement de son intrigue. Il joue de cet effet de zoom et de dézoom, ajustement avec précision le cadre du récit sur les intrigues de palais qui voient la vie d’Oramen menacée, ou bien au contraire élargissant la vision pour englober l’affrontement parallèle de deux races aliènes concurrentes.
Trames n’est pas un chef d’oeuvre comme le furent certains romans précédents du cycle de la Culture. Banks a ressuscité le Space Op avec finesse et intelligence, et, en ce sens, on peut être déçu qu’avec Trames il nous offre "seulement" un très bon bouquin.
Mais quelle maestria dans le maniement de la langue, quelle aisance dans les variations de ton, parfois comique, souvent ironique, d’autres fois dans la pure action.
Ces 700 pages vous tiennent de bout en bout et leur dénouement, qui défie tous les pronostics, est d’une grande classe et achève brillamment le propos qui fonde tout le bouquin : ce n’est pas parce que nous ne sommes rien, à l’aune de l’univers, qu’il n’y a pas de grandeur en nous.