Treize raisons
6.4
Treize raisons

livre de Jay Asher (2007)

Partie à la recherche d'un autre livre que je n'ai pas trouvé, c'est par hasard que je me suis mise sur la pointe des pieds pour attraper 13 reasons why, planqué tout en haut d'une étagère. En parcourant la 4ème de couverture, je ne savais pas si je voulais le lire. En vérité non, je savais très bien que je voulais le lire mais je n'étais pas sûre que ce soit ce que j'avais envie de lire, si vous voyez la nuance.

Et quelques heures plus tard, Thirteen reasons why constitue une de mes lectures paradoxales : à la fois très plaisante - ne serait-ce que parce que le roman en soi est excellent - et très remuante.

Le livre est narré à la première personne par Clay, qui écoute tout au long les cassettes d'Hannah. Hannah morte quelques jours plus tôt, a décidé préalablement à son geste de l'expliquer aux 13 personnes qu'elle juge responsables de sa décision. Si Clay écoute les cassettes, c'est qu'il est dans la liste, que son nom apparaitra tôt ou tard dans le récit de sa camarade, qu'il est un rouage de plus du mécanisme qui a mené la jeune fille à se tuer. Mais pour le moment, au début de la 1ère bande, il ne voit pas comment ou pourquoi.

Si le style est assez simple (surtout du point de vue de Clay) la caractérisation est d'une finesse incroyable. La "voix" d'Hannah est très, très bien rendue, et chaque personnage qui apparait tour à tour dans l'histoire est authentique. Multifacette, complexe, aimable, mesquin, ce sont tous des gens que vous et moi avons rencontré au lycée. Peu importe quel rôle on tenait ces années là, on se positionne sans aucun souci dans cette histoire. Parce que l'histoire aussi, sonne très juste. Prises séparément, les "raisons" peuvent sembler anecdotiques, sans importance, leur perception par Hannah, exagérée. C'est sans compter l'effet boule de neige impossible à percevoir sans visualiser le puzzle final, prendre de la hauteur... ou se voir narrer l'histoire en entier. Ainsi on peut en vouloir à chaque protagoniste évoqué sur les bandes, sans forcer le trait, sans non plus être incapable de les pardonner ou de se mettre de temps à temps à leur place à eux.

La structure est linéaire du point de vue de Clay (les chapitres sont en fait les faces des cassettes, écoutées dans l'ordre) et plus complexe sur les enregistrements d'Hannah, qui raconte les faits pas tant en suivant la chronologie qu'en les rattachant conséquentiellement les uns aux autres. Le résultat final est un roman extrêmement bien ficelé, qui éclaire petit à petit les différentes facettes d'un tout cohérent, un solide bourré de faces et d'arrêtes. Entre autres qualités, 13 reasons why est un modèle de construction narrative aussi réfléchie qu'organique.
Curieusement, alors qu'il est à mille lieux de parler de science, le roman m'a a plusieurs reprises évoqué la théorie de tout, donne le sentiment qu'il existe bien une même force fondamentale unissant et régissant tous les êtres. Mais surtout, le roman illustre parfaitement la théorie des dominos. Aucune action n'est sans conséquence, toute minuscule soit-elle, elle provoque quelque chose, qui à son tour provoquera quelque chose... Et si cette action de base est déjà volontairement orientée, il n'est pas évident de faire dévier la chute successive des dominos de cette direction choisie.

Pour autant Jay Asher ne sous-entend pas que le destin d'Hannah était inéluctable, et c'est vraiment là que suivre Clay apporte tout son sens, toute son ouverture au roman. Lorsque son nom apparait sur les cassettes, et que sa "raison" est révélée, j'étais presque déçue. Je voyais se dessiner tout autre chose, je trouvais cela facile, aurait presque voulu un des 12 autres comme narrateur. Un ou deux chapitres de recul plus loin, ça m'est apparu comme une très bonne idée. Le lecteur a besoin de Clay pour traverser le roman, de son ressenti. Tout meurtri soit-il par le décès de sa camarade, Clay ne peut pas s'empêcher, parfois, de lui en vouloir, d'entrapercevoir de ci de là dans le récit d'Hanna des portes de sorties, des opportunités autres que la jeune fille n'a pas voulu saisir. Il dédouane le lecteur autant qu'il l'implique.

13 reasons why a quelque chose d'un "page turner" (il me fallait toujours aller plus loin, continuer à lire) dans lequel on va pourtant un peu à reculons Car le livre est douloureux, encore plus de part son traitement que de son sujet. Et parce qu'il nous fait un peu nous interroger, exactement comme le fait Clay, sur nos raisons de lire / écouter la suite. Là encore, la finesse de Jay Asher est à saluer, ne niant pas la part, même infime, de voyeurisme motivant l'écoute, mais montrant qu'au final, il s'agit de vouloir comprendre, d'expliquer ce qui ne semble pas pouvoir être logique, possible.
Il en va d'ailleurs de même, en miroir, pour la démarche d'Hannah. Ce qui ne pourrait être qu'une basse vengeance ou une envie de blesser, de culpabiliser, apparait très vite comme beaucoup plus. Il s'agit très justement de faire comprendre. D'expliquer, de s'excuser, de dénoncer comme de pardonner. Et la grande force du roman est dans ce double-regard : ils sont différents, mais pas incompatibles. On a très vite de l'empathie pour les deux. On ressent l'épuisement de l'une, on peut comprendre son abandon, comme on est parfaitement d'accord avec Clay, qu'on est pénétré par son envie de hurler et de dire à Hannah qu'elle avait tort.

On ne quitte pas 13 reasons why comme on y est rentré. Pour ma part j'ai refermé le livre triste, en colère, mais également apaisée sur beaucoup de questions. Un des derniers tours de force de Jay Asher est d'arriver à conclure sur une note d'espoir. Au final, ce n'est peut-être pas une lecture idéale de tout temps. J'ai achevé le livre il y a déjà quelques semaines et la voix d'Hannah me hante encore de temps en temps. Mais le vrai message qu'elle me laisse, cette idée qu'on peut tous faire plus attention aux autres gens et à nos propres actions, cette idée qu'on peut toujours mieux prendre soin de ceux qui nous entourent, est de celles que j'aimerais à porter le plus longtemps possible.
Julie_D
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le 31 mai 2012

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Julie_D

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