"J'ai trouvé le travail le plus merdique du monde"
Iain Levison, l’émule contemporain de Jean Meckert, s’est lancé dans le récit des nombreux postes occupés dans sa vie : doté d’une licence de lettres dont personne ne veut, il a exercé tous les métiers qui ne nécessitaient pas de diplôme, en particulier en Alaska où des hordes d’hommes désespérés travaillent de leurs mains trois mois, six mois, un an, en espérant gagner assez et retourner dans la vraie vie. Serveur, plongeur, cuisinier, poissonnier, pêcheur, déménageur, chauffeur…
Avec cette succession de travaux pénibles, Iain Levison montre comment l’homme devient une main d’œuvre remplaçable dans un système où l’idéologie du marché supplante les valeurs du partage, de la confiance et de la cohésion.
De cette idéologie découlent une précarité sans demi-mesure : les salariés des États-Unis, embauchés et licenciés à la chaîne, sont les victimes d’un ensemble de lois en faveur de l’employeur. Sans assurance maladie dans la plupart des cas, ils subissent de fortes contraintes : la cadence et le stress sont élevés parce que le sous-effectif est endémique. À cela s’ajoute l’absence de formation et de sécurité, comme le mauvais équipement ou le contrôle de la qualité par l’ouvrier lui-même.
Au salarié interchangeable, l’entreprise exige le sourire, la mobilité, la rapidité, l’efficacité, l’endurance, l’expérience, et par-dessus tout, l’obéissance. Si vous croyez vraiment en ce que vous vendez, même si c’est de la merde en boîte, c’est encore mieux. Si l’on parle des États-Unis précisément, la situation des salariés s’est exportée dans le monde entier. À ce titre, le documentaire Attention danger travail de réalisateurs français est particulièrement frappant.
Alors, faut-il prôner l’indépendance ? Ne la plaçons pas trop vite sur un piédestal, car elle a aussi un prix : elle revient souvent à se rendre l’esclave, non du patronat, mais du marché tout entier.
Sous-payés, les salariés doivent pourtant porter l’uniforme qu’ils auront payé, se nourrir et voyager jusqu’en Alaska à leur frais. Au final, encagés par les impératifs, les ordres et contre-ordres, les salariés sont amenés à faire des actes qui ne sont pas des choix : pour payer mon loyer je dois travailler ; pour travailler je dois porter un costume cravate, pour acheter un costume cravate je dois travailler…
Par nécessité, les travailleurs américains exercent souvent deux métiers, voire trois. Pourquoi gagner de l’argent si l’on n’a plus le temps d’en profiter avec dix heures de travail par jour ?
Le travail, quel qu’il soit, est une forme de prostitution inévitable à celui qui n’est pas rentier.
L'intégralité de la critique sur mon blog :
http://www.bibliolingus.fr/tribulations-d-un-precaire-iain-levison-a80136626
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