Époque qui a été contemporaine (enfin, je veux dire dans la vie de l'auteur !), Moyen Âge et Antiquité... Trois périodes différentes pour chacun de ces contes, ayant pour point commun un personnage possédé par une foi religieuse inébranlable.
Un cœur simple :
Une histoire, avec plein d'élans autobiographiques, où une connaissance géographique enthousiaste de la Normandie, que seul peut avoir quelqu'un qui a vécu plusieurs années dans cette région, s'exprime avec une avalanche de détails. Mais cette dernière s'étend aussi à l'habitation, aux pièces, au plus petit objet avec lequel notre personnage principal, Félicité, domestique dévouée, va être en contact dans son quotidien. Flaubert voulait certainement revivre intensément des sensations de son propre passé et, tout aussi intensément, le faire saisir au lecteur.
Dans ce cadre pointilleux, on va suivre la vie triste, ponctuée de malheurs, du "cœur simple". On va suivre cette existence banale, qui ne l'est pas tant que cela, car il y a des richesses à découvrir partout, de sa jeunesse jusqu'à son dernier souffle. Un peu d'encens, un perroquet empaillé comme objet de divination... Et pourquoi pas, après tout, si le bonheur spirituel se trouve dans un perroquet empaillé, on n'a pas le droit de le lui retirer...
Un cœur simple dans une histoire simple, mais qui touche justement par sa simplicité...
La Légende de saint Julien l'Hospitalier :
On ne s'éloigne pas tant que cela de la Normandie, puisque d'après la toute dernière phrase du récit, c'est le vitrail de la cathédrale de Rouen qui a inspiré l'auteur de Madame Bovary. Mais on fait, tout de même, un sacré bond dans le passé. Bonjour légende moyenâgeuse...
C'est l'histoire déchirante d'un jeune homme pour qui tuer des animaux, juste pour détruire, juste pour l'odeur du sang, juste pour écraser impitoyablement le moindre souffle de vie, est une raison d'être, sa seule raison d'être. Un véritable holocauste qu'il paiera très cher, très très cher... Mais la rédemption sera au bout du chemin.
Non seulement, c'est mon conte préféré parmi les trois, mais je vais aller encore plus loin, il s'agit d'un des sommets de Flaubert. Son style est virtuose. On est plongé sans cesse dans un tourbillon de couleurs, de matières, de sensations contradictoires d'une représentation d'époque, où l'isotopie du Moyen-Âge n'a jamais pu s'étendre autant ici qu'ailleurs, avec un œil érudit, mais, on est aussi, bien évidemment, dans le merveilleux, on est dans le récit des vies de saints, enluminées par des moines copistes.
Autre grande richesse, on va être bouleversé par les dernières années de vie d'un être qui a été absolument détestable lors des premières.
Un récit d'une force peu commune...
Hérodias :
Un sacré saut dans le temps, mais aussi un sacré saut dans l'espace. Autant la Normandie nous semblait proche, autant le cadre de la légende du saint pouvait être situé par le lecteur dans une zone géographique proche, s'il le souhaitait, autant là, on va dans la citadelle de Machaerous, à l'orient de la Mer Morte... Un parfum d'exotisme vaporeux et lointain... Cela rappelle Salammbô...
Sauf que je ne me souviens pas d'une overdose aussi indigeste de personnages à Carthage. À tort, peut-être, mais cela, alors, était dilué dans la longueur d'un roman. Là, c'est la longueur d'une nouvelle. C'est difficile d'ingurgiter autant de personnages en aussi peu de lignes. On finit par ne plus savoir qui est qui. Flaubert avait certainement tenté de renouveler la réussite magistrale de l'aussi envoûtant que glaçant Salammbô dans un format plus court. Le résultat est une lecture pénible.
Mais je sauve, malgré tout, une finesse dans le portrait d'un Antipas, attaché à son pouvoir et à ses richesses, tout en étant épuisé et désabusé, et une dernière phrase qui arrive à combiner le prosaïsme le plus profond avec la profondeur légendaire.