trois jours à le lire, et à se faire un peu chier
Lorsqu'un livre devient un Goncourt, chaque année, une dualité d'opinions s'installe. Dans un ordre indifférent, surgit l'intérêt pour un livre primé de la plus grosse récompense en France (pour un livre français), ou du moins, la plus prestigieuse, prestige véhiculé par ceux là même qui l'attribuent. Une récompense, se dit-on, est forcément méritée, d'autant qu'avec elle viennent les ventes, démultipliées jusqu'à atteindre des quantités inconsidérées.
Et puis la méfiance apparaît, chuchotant un mépris des édiles et de la reconnaissance qu'ils s'attribuent eux-mêmes à tour de rôle.
La question reste entière devant ce Goncourt, Trois jours chez ma mère, écrit par un cinéaste écrivain. La centaine de milliers de lecteurs français ont-il nécessairement fait le bon choix ? La vingtaine de traductions laisse penser que tout ce monde n'a pas pu se tromper...
Et pourtant. La brouille entre les élites littéraires et le public semble s'aggraver. Entre les bouillons qui se vendent par palettes et les miracles qui demeurent inédités, on ne sait plus où donner de la tête et à qui accorder sa confiance.
Trois jours chez ma mère parvient à rassembler ces doutes en une seule œuvre qui trouve malin de créer une histoire dans l'histoire, un roman dans un roman dans un roman. Le point positif réside dans la construction littéraire de cette chose, habile, disséminant la confidence de l'introspection, le fantasme de l'auteur et une histoire en forme de coquille d'escargot qui ne se mord pas la queue et finit par retomber sur ses pattes, dans un style simple et transparent qui réserver quelques pépites de ci de là.
Cela dit, on n'enlève pas au livre les longs passages ennuyeux, insupportables, ses digressions systématiques qui ne mènent nulle part ailleurs qu'à la satisfaction de celui qui les a écrites. Hormis quelques passages excitants, quelques jolies tournures et astuces bienvenues, si on excepte cette construction intéressante de l'ouvrage, le fond tient sur des brindilles bien vite balayées.
Il y a un point commun dans les ouvrages qui évoquent un deuil personnel (Christian Bobin par exemple). Les histoires de mort familiale, ou les histoires psychanalytiques consécutives à un deuil frisent le zéro absolu en termes d’intérêt. On sent bien que l'auteur y met ses tripes, mais un roman n'est ni une biographie, ni un documentaire, ni un exutoire personnel à grands frais. La mort de ton père étalée sur des dizaines de pages, tes sentiments, tes doutes et tes peurs, on n'en a rien à foutre !
Et l'on retombe sur tous les doutes que le Goncourt inspire, année après année. La récompense est validée par des types qui aiment lire des choses sympa à leur sujet, surtout dans les livres qui sont soumis à leur avis professionnel et éclairé. Et Trois jours chez ma mère est truffé de ces incises qui leur sont destinées. Ces compliments, cet étalage de culture érudite concoure à faire frétiller la corde si sensible de leur avis si important.
Ces mêmes érudits parmi lesquels figure Weyergans aiment d'ailleurs à nous montrer toute l'étendue de leur culture et de leur savoir, et ils nous l'assènent à longueur de pages et ils aiment à nous montrer qu'ils sont allés la chercher loin. Le savoir pour lui même n'existe pas, il ne vaut que si vous avez traversé la terre entière pour découvrir un truc que vous auriez mis trente secondes à intégrer sur le net. Montrez nous que vous connaissez le monde et pas nous, montrez nous que vous êtes allés là où personne ne va, et montrez nous que le plus exotique que vous ayez trouvé est, je vous le donne en mille, le Japon. Le peuple n'a pas besoin d'être pris pour un con devant les litanies de noms obscurs qui donnent consistance à un auteur en recherche d'un message. Aussi somptueuse soit votre capacité à construire, racontez nous une histoire, pas votre pêché, pas votre votre culture péremptoire et prétentieuse, racontez nous quelque chose, et cessez donc d'élaborer la vitrine de vos amitiés du monde d'en haut. Ça ne fait plus rêver personne.