Pour celles et ceux qui aiment les aventuriers.
On avait déjà croisé Antonin Varenne dans un polar un peu déjanté : Fakirs.
Revoici cet auteur dans un tout autre registre, celui du roman d’aventures, fresque picaresque, voyage en technicolor et odorama.
Le titre, sur la couverture, donne déjà le ton : Trois mille chevaux vapeur, rien que ça. C’est la puissance du bateau transatlantique de la Cunard qui emmènera le sergent Bowman aux Amériques juste avant l’élection d’Abraham Lincoln en 1860. C’est aussi la mesure de la puissance évocatrice de ce roman bouillonnant qui résonne de bruits et de fureur, de guerres et de puanteurs.
Mais avant de partir pour le far-west, le sergent Bowman est d'abord passé par les Indes et la Birmanie : il était soldat pour la Compagnie des Indes Orientales, la britannique, la société privée qui reçut de la Reine Elisabeth les privilèges de frapper sa propre monnaie et recruter sa propre armée et dont les mercenaires terrorisèrent une grande partie de la planète … pour le bien de l'Empire.
C'est à l'embouchure de l'Irrawaddy que commence ce récit en 1852, en pleine guerre navale. Quelques pages à peine, pleines de bruit et de fureur, et nous voici plongés au cœur des combats aux côtés du sergent Bowman et de ses hommes, envoyés en mission secrète contre les ‘singes’ birmans (on découvrira plus tard les dessous peu chevaleresques de cette affaire qui finira très mal).
Plus tard, en 1858 au cœur de La Grande Puanteur, on retrouve le sergent Bowman à Londres, imbibé d'alcool et d'opium. Quelques années de captivité chez les 'singes' birmans ont laissé des traces profondes dans son cerveau ravagé par les cauchemars et des cicatrices effrayantes et mystérieuses sur son corps amaigri.
Un meurtre puis un autre semblent alors réveiller les fantômes des années terribles.
Le sergent part à la recherche des rares survivants de l'épisode de 1852 et des années de captivité qui suivirent : l'un d'eux est sans doute l'assassin.
Bowman devra poursuivre l’assassin et ses propres cauchemars jusqu'aux Amériques où il débarque le 8 mars 1857 en pleine manifestation des ouvrières du textile (1).
C'est sur cette trame historique délibérément ‘choisie’ qu'Antonin Varenne s'amuse à déplacer son pion (et nous avec !) d'est en ouest, en voilier, en train, en vapeur, en diligence, à cheval, pour notre plus grand plaisir : le contexte est évoqué avec précision mais sans pédantisme affecté, sans étalage complaisant, juste ‘histoire’ de piquer notre curiosité.
Le fil de l’intrigue ‘policière’ est très ténu et ne sert qu’à nous tenir en haleine tout au long du voyage, dans l’impatience de découvrir quelles sont exactement ces mystérieuses et terribles cicatrices que Bowman et ses anciens compagnons d’armes ont ramené de captivité, et lequel des rares survivants en est devenu fou furieux.
Un extrait d'une interview de l'auteur :
[...] Fan de western depuis longtemps, j'ai décidé de me lancer et de là s'est greffée l'idée de la poursuite d'un tueur qui aurait pu être un tueur du XXe siècle, mais pendant la conquête de l'Ouest. Ensuite il a fallu des personnages, ils ont pris corps au fur et à mesure, selon les besoins de l'histoire...
Pour la première fois je crois que j'ai vraiment forcé le destin d'Arthur Bowman (le personnage principal) à aller exactement là où je voulais. Ce que je n'ai pas maîtrisé, c'est par où il allait passer. [...] Je savais où je voulais faire arriver le héros, mais Bowman est passé par des endroits que je ne m'attendais pas du tout à visiter ...
Au long de ses pérégrinations, l’increvable Sergent Bowman rencontrera toute une galerie de personnages hauts en couleurs, au figuré comme au propre puisque le monde de l’époque se confronte aux jaunes, aux noirs et même aux rouges du far-west. Bowman fera même la connaissance d’un étonnant indien métis qui s’est lui-même baptisé John Doe ! … et d’une belle rousse du far-west (joli portrait de dame).
Le sergent Bowman réussira-t-il à racheter sa rédemption après les horreurs commises et subies quand il n’était qu’un spadassin au service de Compagnie ?
Commencé à grand bruit dans la fureur des guerres coloniales en Asie, le roman s’achèvera au son des canons de la Guerre de Sécession sur laquelle Arthur Bowman et Antonin Varenne jettent un regard désabusé :
En pleine transformation industrielle, le XIX° siècle finissant annonce déjà les terribles fracas des années à venir et la plume d’Antonin Varenne a suffisamment de souffle et d’ampleur pour nous entrainer et nous faire partager ces bouleversements.
Bien sûr on peut se dire que le récit d'Antonin Varenne joue la facilité avec des épisodes assurés d'emporter l'adhésion de ses lecteurs. Mais il faut bien reconnaitre aussi que l'auteur maîtrise et sa plume et ses effets et que sans ces talents il nous aurait perdu en chemin depuis bien longtemps.
Les romans d’aventure modernes et contemporains sont assez rares pour s’attarder sur celui-ci, vraiment très intéressant.
(1) - pour les curieux, il semblerait que l'histoire de cette manif et de la répression sanglante qui suivit (l'armée aurait ouvert le feu sur les ouvrières) ne soit qu'une légende destinée à occidentaliser la commémoration du 8 mars. Mais cela n'enlève rien au récit de Varenne !
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