Un écrin de toute beauté, qu'il faudra remplir dans les 3 prochains tomes

J'ai entendu parler de ce roman pour la 1ere fois en écoutant une émission de france culture sur les questions de genre en SF (l'émission est là pour les curieu-ses-x : Queer : le mauvais genre de la SF). Je trouvais que c'était une thématique et un angle intéressant pour de la SF. Au final, c'est peu présent dans ce premier roman, plus un artifice parmi bien d'autres.


Mais reprenons du début : l'autrice, Ada Palmer, est une spécialiste de la renaissance et des Lumières. Trop semblable à l'éclair est son premier roman de fiction, et c'est le premier volet d'une saga, Terra Ignota , saga qui devrait comprendre 4 volet.


Le point de départ de l'univers qu'elle a créée pour ces romans est très simple, mais elle en fait un développement passionnant. C'est le gros point fort de ce roman : un world-building incroyablement dense et prenant.


L'histoire prend place en 2454. Deux événements majeurs ont façonné le monde qui nous est décrit. D'abord, la création et le développement d'un moyen de transport peu cher, sur et très rapide, permettant de se rendre partout en moins de 2h. Ceci a entraîné la disparition du concept d'état nation. Pourquoi se sentir proche de quelqu'un qui habite à côté si je met le même temps à aller le voir que d'aller voir un ami à l'autre bout de la planète. La deuxième évolution est l'interdiction de parler de religion à plus de 2 personnes en simultanée, à cause de nombreuses guerre de religion qui ont éclaté au 22e siècle. Depuis, il est interdit de discuter religion en groupe, retirant une 2e bonne raison de se sentir proche de ses voisins. Il en résulte un système de ruches, 7 au total, qui permettent de se regrouper par affinités avec d'autres personnes du globe, partageant un idéal commun. De même, la famille n'existe plus, remplacé par les bash, que l'on choisi pour élever ses enfants avec des personnes que l'on apprécie, les accompagnant dans leur propre choix de ruches quand ils grandiront. On peut aussi choisir de ne pas rejoindre de ruches, se contentant de respecter les lois universelles en devenant un « droit noir hors ruche ».


Il existe encore une autre catégorie de population, les Servants, des criminels qui ont été exclu du système et sont donc contraint à une vie de servitude en restant à disposition des habitants des ruches qui leurs confient toute sorte de mission en échange de repas ou d'autorisation à dormir.


Le narrateur est l'un de ses servants, Mycroft, qui semble être un Servant ayant accès à l'oreille des plus grands puissants de ce nouveau monde. Il va nous guider au travers de 2 histoires parallèles. La première a trait à la liste des 7-10 : tous les ans, une liste des 10 personnes les plus influentes est publiée par plusieurs journaux qui éditent chacun leur propre liste, renversant ainsi parfois l'ordre établi en donnant du pouvoir à tel ou tel personnage et donc telle ou telle ruche. Cette année, la liste d'un journal proche de la ruche Mitsubishi a été volé avant sa publication et retrouvé dans le bash Humaniste Saneer-Weeksbooth, (le bash en charge de la gestion du système de transport, appartanant à la ruche des Humaniste). Mycroft va être chargé par les dirigeants de ruche de faciliter l'enquête visant à comprendre comment cette liste s'est retrouvé là. Mais cela va survenir alors qu'un autre événement survient dans les secrets gravitant autour de Mycroft.


En effet, Mycroft participe à dissimuler l'existence de Bridger, un jeune enfant capable de faire se réaliser des miracles (comme par exemple donner vie à des jouets). Dans un monde où parler de religion est proscrit, comment gérer l'émergence d'un faiseur de miracle ?


Voilà les 2 nœuds narratifs autour desquels va graviter ce premier tome, Trop semblable à l'éclair. Pour ce faire, on devra suivre la narration de Mycroft, qui s'adresse directement à nous, à la manière du roman de Diderot « jacques le fataliste » mis d'ailleurs en exergue par une citation au début du roman. Ce dernier ne se gênera pas pour nous masquer des éléments importants, nous les livrant quelques centaines de page plus tard en se moquant de nous pour ne pas l'avoir deviné seul. Mycroft se joue aussi de nous en ne respectant pas la règle d'usage à son époque consistant à ne pas genrer les personnes (plutôt que dire « il/elle a fait ça », il faut écrire « on a fait ça », ou « ons a fait ça » pour le pluriels). Mycroft s'amuse à genrer les personnages, et parfois à les mégenrer volontairement si leur comportement est plutôt féminin, même si c'est un homme (et inversement). Mais Mycroft ne fait ça que lorsqu'il nous parle, lorsqu'il retranscrit les paroles des autres personnage, il respecte leur façon d'utiliser le pronom neutre.
Autre originalité de forme : selon la langue parler par les personnages, des artifices nous feront comprendre dans quelle langue la phrase est écrite ([entre crochet pour le japonais], en italique pour une autre langue, avec les exclamations à l'espagnol, etc.).


Bref, vous le voyez, le roman fourmille d'idée tant sur le fond que sur la forme. Mais c'est un peu son point faible paradoxalement. En effet, une fois que les 2 trames scénaristiques que je vous ai présenté ont été implanté, et bien il ne se passe pas grand chose pour les développer. A la fin des 650 pages, vous n'en saurez pas beaucoup plus qu'après mes quelques lignes, voir même vous aurez plus de questions irrésolues qu'au début (la fin apporte une partie de réponse de manière un peu soudaine, assez détonante avec la lente construction de tout le reste du roman). Après tout, ce n'est que le 1er tome de la quadrilogie. Donc on peut espérer que les réponses viendront dans les prochains tomes.


Mais du coup, que se passe-t-il dans ces 650 pages, te demandes-tu lecteur de cette critique ? Oui, homegas, on veut comprendre pourquoi ta note n'est pas de 9 ou 10, vu ce que tu décris pour l'instant. J'y viens lecteur, un peu de patience, voici une courte liste de ce qui m'a déplu : pour commencer, il y a de franches longueurs dans ce roman, notamment un interminable passage dans une maison close. Je comprend la volonté de faire un clin d’œil à Sade en rédigeant une partie mêlant pseudo-érotisme et discours politico-philosophique, mais fallait-il vraiment l'étendre à ce point ? C'est un autre point faible du roman : un peu comme Damasio qui transpire à travers certains personnages de ses bouquins, nous criant « tu as vu comme j'ai lu plein de socio », Ada Palmer se voit parfois un peu trop à travers Mycroft, nous hurlant « regardez comme je maîtrise les code d'écritures du siècle des Lumières ». Mais soit on a déjà des bases de philo et on comprendra aisément ce qu'elle veut faire passer comme message (et dans ce cas, pas besoin d'étaler ledit message sur des chapitres interminables) ; soit on ne connait pas trop ces réfléxions philosophiques et bien qu'étalés, on ne rentre pas dans la pédagogie ni la profondeur et donc il faudra aller lire ailleurs si on veut bien comprendre ce qu'Ada Palmer voulait dire (et dans ce cas, fallait-il nous appater avec ces chapitres interminables?)


Autre point faible : aucun personnage, pas même Mycroft, n'arrive à vraiment prendre de l'épaisseur, tant iels sont écrasées par leur multitude, et l'obligation des les rattacher à des traditions philosophiques ou politiques. Même cette longue partie en maison close ne parvient pas à faire émerger de l'empathie pour les personnages principaux, que l'on croise pourtant presque intégralement dans ce passage, qui semble encore une fois plutôt là pour appuyer sur l'anachronisme voulu par Ada Palmer. L'idée était bonne d'écrire un roman futuristique avec un narrateur nous parlant comme si on était encore plus loin dans le temps, mais utilisant le langage du 18e, pour au final nous proposer une critique de notre présent et de notre utopie de société post capitaliste, dégenré, dépolitisé et déreligieusité. Ca marche super bien, et vu les thématiques abordés, l'angle de la philosophie des lumières est plus que pertinent. Mais une idée à beau être bonne, si on me la ressert ad nauseum 600 page durant, je frôle l'indigestion malgré toute la puissance de l'idée.


Il n'en reste pas moins que ce premier tome est un écrin d'une beauté incroyable, d'une ingéniosité surprenant, d'une richesse d'outils sur le fond et sur la forme rafraîchissant (ça fait longtemps que j'avais pas vu autant de chose novatrice dans de la SF). Il va maintenant falloir transformer l'essai en remplissant cet écrin d'un contenu qui en soit à la hauteur : que les 2 histoires avancent, que les personnages gagnent en épaisseur et que les bonnes idées de style d'écriture laisse un peu de place à tous le reste. J'y crois, et c'est pour ça que je mets un 8/10, qui pourra se transformer en une bien meilleurs note si la suite vient remplir les nombreux vides qui persistent en refermant ces chapitres foisonnant.

Homegas
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le 1 août 2021

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