Au sein d’une rentrée littéraire bien chargée, Leila Bouherrafa tire son épingle du jeu avec brio.

L’autrice signe ici son deuxième ouvrage,, sorti cet été aux éditions Allary, après La dédicace, en 2019. Celle qui se définit comme une “écrivaine à temps partiel” nous embarque dans la vie quotidienne de Layla, que l’on suivra dans une narration à la première personne, une jeune femme immigrée, arrivée en France à la suite d’un terrible événement.

On n’apprendra jamais vraiment ce qui a poussé Layla a quitter le pays qu’elle appelle “Là-bas”, ni même le nom de cet endroit, son âge ou encore son nom de famille. Nous faisons la rencontre de Layla à l’instant où elle reçoit sa convocation pour être naturalisée, après des années passées à vivre dans un hôtel miteux faisant office de centre d’accueil, et à travailler à temps partiel dans un petit café délabré place de Ménilmontant.

L’utilisation du langage courant, voir familier, nous projette dans les pensées les plus immédiates du personnage principal et dans un quotidien sans atours, peuplé de désœuvrés : “la vieille qui vendait des roses moches s’est vite fait une réputation de folle”.

Les nombreuses répétitions et anaphores viennent appuyer les réflexions de Layla de façon percutante : “C’est toujours à l’oreille qu’on reconnaît le mieux les fous. Les fous disent qu’une barbe peut être un danger. Les fous disent qu’il faut changer de prénom pour s’intégrer. Les fous disent qu’on ne peut être français qu’en étant assimilé.”

On peut se demander qui, de Leïla l’autrice ou Layla la narratrice, s’adresse vraiment à nous au travers de cet ouvrage. La juste réponse se situe probablement à mi-chemin, l'autrice, de nationalité française et d’origine algérienne, s’étant inspirée de ses années passées à enseigner le français dans une association accueillant de jeunes réfugiés et de son expérience en tant que fille d’immigrés.

En regard d’une apparente simplicité, Tu mérites un pays offre une seconde grille de lecture aux péripéties de Layla. L’autrice dresse le portrait très critique d’une France hypocrite, raciste, islamophobe, qui abandonne les gens qu’elle prétend accueillir, une France où la municipalité déploie plus d’énergie pour tenter de forcer un grand-père à raser sa barbe plutôt qu’à offrir des conditions de vie décentes à ses habitants : “Dans ces courriers, la Mairie de Paris demandait à Momo de raser sa barbe parce qu’elle était un danger pour la sureté nationale. Bien sûr, la mairie ne l’écrivait pas exactement comme ça, mais c’est exactement ce qu’elle voulait dire je crois. Momo, il était français et musulman, c’est-à-dire qu’il payait ses impôts, portait une barbe et ne manquait jamais de rattraper ses prières, ce qui faisait de lui un vrai ennemi de la République aux yeux de la mairie de Paris”. Ce roman est une voix donnée aux marginaux, aux racisés, aux pauvres, aux vieux, aux oubliés, aux exilés, et son cri retentit, déchirant de misère humaine et d’injustice : “Avant, je pensais qu’en France on ne traitait mal que les étrangers [...] J’ai toujours pensé que la nationalité française était comme un bouclier, mais ce matin, en parlant à Claude qui avait passé tout sa vie comme aide-soignante à torcher des culs pour que personne ne l’aide désormais à torcher le sien, je me disais que finalement personne n’était à l’abri. Que tout pouvait s’effondrer.”

Entre rage, chagrin, espoir et désespoir, cette tranche de vie met en face d’une douloureuse réalité, celle d’une violence quotidienne et étatique qui s’infiltre partout. Cette violence, parfois perfide et silencieuse, s’incarne dans les immeubles sociaux délabrés, les vieux qui crèvent de froid dans la rue, les procédures administratives auquel on accorde plus d’importance qu’aux vies humaines, broyées par un système absurde : “Marie-Ange m’a expliqué que pour avoir un logement, même si c’était inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, il fallait constituer un dossier qui allait ensuite être enregistré dans un système centralisé, puis attendre, et alors j’ai su qu’elle parlait de la procédure sans qu’elle ai besoin de la nommer, car en France, la procédure est plus respectée que Dieu”.

Tu mérites un pays fait réfléchir et remettre en question ce que l’on croit acquis, démarche qui pourrait s’avérer nécessaire dans une France où le président de la République évoque les relations franco-algériennes en parlant “d’histoire d’amour tragique”, où les aides sociales et le service public s’amenuisent en même temps que les idées d’extrême droite se répandent. Une lecture accessible et incisive, un roman d’utilité publique.


Écrit en septembre 2022

ArabianLa
7
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le 23 janv. 2024

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Arabian Léa

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