Béni soit l'absurde
Écrite alors que son auteur a raté trois fois le concours d'entrée à Normal Sup et deux fois la licence de lettres, présentée en 1894 à Alfred Vallette et publiée puis présentée en 1896, la pièce Ubu...
le 16 mai 2016
19 j'aime
3
Écrite alors que son auteur a raté trois fois le concours d'entrée à Normal Sup et deux fois la licence de lettres, présentée en 1894 à Alfred Vallette et publiée puis présentée en 1896, la pièce Ubu Roi de Jarry est l'une des plus importantes pièces de théâtre des deux derniers siècles. Précurseur du mouvement surréaliste et du théâtre de l'absurde, l'auteur y conduit habilement une satire provocante de la tyrannie sur un humour gras parodique exacerbé, en la personne du Père Ubu, maître ès bassesses et pleutreries, devenu iconique par ses multiples facettes : ridicule dans ses paroles, lâche dans son attitude, d'une incompétence ahurissante en tant que gouverneur d'un pays, d'une cruauté frisant l'absurdité... à tel point que le despotisme mis à nu nous arrache des rictus de dégoût mêlés à des grimaces d'hilarité.
Manipulé par sa femme, sorte de Lady MacBeth à la fourberie, l'avarice et l'ignominie de son modèle exacerbés, ancien roi d'Aragon et capitaine de dragons polonais sans le sou, échafaude un plan lâche, machiavélique et sournois pour assassiner le roi Venceslas et la famille régnante. Sa réussite s'accompagne du massacre des nobles du royaume, de la magistrature et des financiers, pour aboutir sur une tyrannie sans son pareil, où Ubu mène un règne sans scrupule, doublant voire triplant les impôts, s'attribuant toutes les lettres de noblesse, et l'avarice l'empêchant d'investir le moindre centime de denier dans son fief nouvellement acquis. Son inévitable chute découle d'une bataille fort mal organisée, et de son exil par Bougrelas, seul rescapé de la famille royale décimée.
Alfred Jarry l'avait lui-même dit, juste avant la première représentation de sa pièce : "Quant à l'action qui suit, elle se déroule en Pologne, c'est-à-dire nulle part." Jarry se place d'emblée dans une belle satire par cette déclaration : sous emprise russe et germanique, la Pologne, à cette époque, bien que secouée de quelques sursauts idéologique et par l'apparition de partis politiques, n'existe pour ainsi dire pas ; langue polonaise interdite dans le domaine privé, toutes les écoles russifiées, taux d'alphabétisation extrêmement bas, Eglise privée de ses relations avec le Vatican... Quel autre pays pourrait mieux seoir à l'action d'Ubu Roi ? Non seulement pays légendaire et mythique dans la pièce, mais non sans toutes les caractéristiques réelles à son sujet (les titres des nobles massacrés existent tous réellement).
Véritable plaidoyer contre le pouvoir autoritaire, Alfred Jarry ne manque pas de mettre en exergue tous les défauts du fieffé tyran. Malmené de long en large de la pièce, ridicule à tout instant, jamais la tyrannie ne nous aura semblé aussi grotesque et absurde que dans Père Ubu. On en viendrait presque à être soi-même horrifié de notre rire. Un véritable coup de maître d'Alfred Jarry, qui par l'absurdité et le surréalisme de la pièce, inspirera tout un courant littéraire. Un objectif si bien rempli que l'auteur, tout le long de sa vie, ressemblera de plus en plus à son personnage, parlant à sa manière et signant ses lettres "Ubu".
Un chef-d'oeuvre, pour sobrement résumer Ubu Roi.
(Critique écrite sur Babelio le 09/05/2015)
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 10 Livres, L'ordure à l'état pur et Les livres qui ont changé votre vie
Créée
le 16 mai 2016
Critique lue 3K fois
19 j'aime
3 commentaires
D'autres avis sur Ubu Roi
Écrite alors que son auteur a raté trois fois le concours d'entrée à Normal Sup et deux fois la licence de lettres, présentée en 1894 à Alfred Vallette et publiée puis présentée en 1896, la pièce Ubu...
le 16 mai 2016
19 j'aime
3
Séquence théâtre, classe de première, j'en garde un souvenir pénible. Vous prenez un personnage grossier (Père Ubu) affublé d'une harpie en guise d'épouse (Mère Ubu), un roi détrôné (Vanceslas), un...
Par
le 31 mai 2010
13 j'aime
1
Parodie assumée qui reprend un thème éculé : celui du coup d'état. Thème d'habitude tragique qui ici est volontairement torché, littéralement vulgarisé, jusqu'à devenir le fil conducteur d'une...
le 13 juil. 2011
11 j'aime
Du même critique
Non non et non, rien à dire sur un style d’une perfection sans faille (j’aime les pléonasmes) dont on nous a rebattu les oreilles jusqu’à épuisement en classe de Terminale. Rien à dire sur le...
le 12 août 2016
18 j'aime
11
Et si, dans un genre lui-même terré au fin fond des abysses de la musique, existait encore un sous-genre si obscur que même les fonds marins n’auraient rien à lui envier en termes d’underground...
le 17 janv. 2018
11 j'aime
Pour peu qu’on soit un tantinet afficionado de Wallace & Gromit c’est toujours avec plaisir que l’on s’introduit dans une salle projetant le dernier des studios Aardman. En termes de créativité...
le 8 févr. 2018
11 j'aime
1