Ulysse est une somme, une œuvre charnière. Censuré aux Etats-Unis à sa sortie, il a été sanctifié et fait partie à présent du patrimoine de la littérature mondiale. Pour celui qui s'intéresse un tant soit peu aux livres, impossible d'échapper à cette référence de 1000 pages, qui a demandé 7 ans de labeur à son auteur.
J'ai un a priori favorable envers les expériences livresques formelles, qui mettent en place une structure originale, qui partent sur un concept, comme le fait l'OuLiPo, comme l'a fait Caligrammes d’Apollinaire. C’est donc plein d’espoir et de désir que j’ai acheté l’ouvrage.
J'ai essayé une première fois de lire le chef d'œuvre, flop. J'ai essayé une seconde fois, cette fois-ci je m'imposais 20 pages par jour, reflop. J'ai alors pris le temps de préparer ma tentative suivante. Je suis allé à Dublin où j'ai écumé les pubs et déambulé durant une semaine dans tout le centre. J’ai lu Dubliners du même auteur en anglais, j'ai relu l'Odyssée de Homère, j'ai décortiqué Promenades dans la Dublin de Joyce écrit par Robert Nicholson, j'ai recopié le schéma Linati. Mon investissement était tel que la troisième fut la bonne, je réussis à lire Ulysse jusqu'à la fin.
Jusqu'à la lie. Car en tant que cibliste, c'est-à-dire en tant que lecteur qui apprécie avant tout le résultat, l'émotion suscitée par une œuvre, son degré d'autonomie, plus que la manière de faire, le temps qu'il a fallu ou le respect par rapport à une adaptation, du point de vue cibliste donc, Ulysse est un ratage complet.
Ce n'est pas un cheval de Troie, mais un chemin de croix, une épreuve dont on ne ressort pas plus fort, mais avec une belle migraine et une furieuse envie de lire un San Antonio. Pour en apprécier la substantifique moelle, je n'en ai pas fait assez, il aurait fallu étudier l’histoire de la littérature anglo-saxonne, compiler tous les écrits autour d'Ulysse, voire le lire en anglais (même si la traduction en français a été relue et approuvée par Joyce himself). La solution la plus radicale aurait été de déterrer le cadavre de l'auteur, faire revivre son cerveau et me le greffer, mais hélas, James a été incinéré.
Le commentaire est devenu plus important et beaucoup plus intéressant que l'œuvre en elle-même. Ulysse s'est drapé dans un voile opaque qui laisse voir un genou par-ci, une nuque par-là, à quelques exégètes choisis. Il révolutionne la littérature dans les couloirs de l'université, mais laisse de marbre le lecteur pourtant plein de bonne volonté.
Environ le même temps Stephen le bachelier emplit à ras bords les coupes qui étaient vides si bien que ne fût démesuré du breuvage qu'un petit si n'avaient les plus prudents défendu leurs approches contre lui qui les pressait avec tant de feu et qui, priant en intentions du Souverain Pontife, il leur demanda qu'on portât la santé du vicaire du Christ, lequel comme il dit encore est semblablement vicaire de Bray.
Voilà un extrait pris au hasard, et oui, c'est très souvent du même acabit. Ceci pour montrer qu’il est inutile d’espérer trouver le moindre plaisir sur le style, la forme, tout aussi hermétique que le fond.
J'ai appris récemment que la femme de Joyce se plaignait d'être importunée la nuit par les rires de son mari lorsqu'il écrivait dans le bureau mitoyen. Si Ulysse est une vaste farce, je note que l’humour irlandais est très très particulier.