Vers 1692 au plein coeur de l'Ecosse, les honnêtes gens s'apprêtent à brûler une 'sorcière'.
En Grande-Bretagne, cette chasse aux sorcières ne s'arrêtera que vers 1730 avec le Witchcraft Act qui mettra fin à une longue série de près de 100.000 assassinats de femmes britanniques un peu plus étranges que d'autres, persécutées par les talibans de l'époque (sans parler de ce qui se passait sur le continent).
Ce remarquable roman de Susan Fletcher relate l'histoire de l'une de ces femmes, Corrag, qui deviendra une figure de légende dans les Highlands (c'est inspiré d'une histoire vraie).
[...] Comment des êtres vivants peuvent-ils brûler des êtres vivants ?
Qu'y a-t-il en eux qui ne ressent rien, pour qu'ils disent
'brûlez-là', et puis tournent les talons avant que l'odeur de brûlé
imprègne leur perruque ? Je ne l'ai jamais compris. Mais je ne suis
pas pareille à la plupart des gens.
Pour ses derniers jours, la petite Corrag croupit en prison en attendant que la neige fonde et que le dégel permette d'allumer le bûcher.
Au fil de ces quelques jours, elle raconte sa vie et son histoire à un homme d'église venu l'entendre. On vous laisse découvrir les circonstances de leur rencontre et les sombres motivations de la sentence qui condamna Corrag mais sachez que l'on se retrouve au coeur de la lutte qui opposa protestants anglais et papistes écossais, orangistes et jacobites.
[...] C'est pourquoi il m'envoie au bûcher, je crois.
Débarassons-nous de celle qui a tout vu.
Celle qui a sauve des gens et fait échouer le plan.
Celle qui se souvient de tout.
Inéluctablement on pense au tout aussi remarquable livre de Hannah Kent, À la grâce des hommes, qui relatait lui aussi les derniers jours d'une femme attendant son exécution, c'était en Irlande, quelques deux cents ans plus tard.
Ce n'est pas le seul point commun entre les deux bouquins qui, tous deux, laissent une grande place à la nature et aux paysages qui façonnent les êtres qui les habitent.
Et dans ce livre de Susan Fletcher ce n'est pas une figure de style : c'est sans aucun doute le roman le plus nature-writing qu'il nous a été donné de lire jusqu'ici. Les hommes et les femmes de ces régions pas très hospitalières ne sont pas seulement façonnés par la nature, ils font quasiment corps et âmes avec les éléments, la neige, la pluie, les vents, la tourbe et les plantes.
Comme une tempête écossaise, la prose de dame Fletcher nous emporte avec une puissance étonnante.
[...] Oui, le coeur a ses cicatrices. Il a ses fentes, alors je me
demandais si ça faisiat des sifflements quand le vent soufflait fort.
Je me demandais si l'eau coulait de moi, les jours pluvieux. Un coeur
troué.
Pffff... Susan Fletcher ne serait-elle pas un peu sorcière elle-même ?
Voici ce qu'en disait l'éclésiastique lui-même, en parlant de la jeune Corrag :
[...] Quel don ! J'écris ceci dans ma chambre, comme toujours. Mais
elle parle avec tant d'éloquence de sa vie sauvage, dans la bruyère et
parmi les rochers, que je m'y sens plongé. Est-ce de la sorcellerie ?
Ce don ?
Une écriture très physique qui parle des corps, des doigts et des cheveux, des mains et des pieds, des blessures et des douleurs, de la sueur et du sang. Le dernier bouquin qui nous avait laissé une aussi forte impression dans ce champ d'expression des corps, était celui de la suédoise Kerstin Ekman.
Tout comme pour le roman australo-islandais cité plus haut, on est à deux doigts du coup de coeur : quelques longueurs parfois répétitives nous font hésiter à surclasser cette très belle et très forte lecture.
Pour celles et ceux qui aiment les sorcières des Highlands.