Bondir de son fauteuil et crier :"Enfin ! Voilà du théâtre !", après avoir récupéré du fou-rire qui vous a tenu pendant cinq actes ! Acariâtres, pisse-vinaigre, intellos toujours en manque de deux ou trois niveaux de lecture, duck faces de la culture, regagnez les pages du "Monde", de "Télérama" ou du "Nouvel Observateur", dans lesquelles vous trouverez aisément de quoi suppléer à l'attitude méprisante de la gastro qui vous a boycotté cet hiver !
Labiche a cousu ici un de ses deux chefs-d'oeuvre. Un galerie particulièrement fournie de personnages aisément repérables sur la durée de cinq actes : le héros (Faudinard), en train de se marier le jour même, veut réparer un incident dont il endosse la responsabilité : son cheval a mangé un superbe chapeau de paille d'Italie en plein bois de Vincennes, et il se fait fort, en dépit de toutes les préoccupations d'une journée de noces, de remplacer ledit chapeau à l'identique. Mais voilà, un tel chapeau ne court pas les rues de Paris !!!
Vézinet, sourd comme un pot. Nonancourt, père de la mariée, raide dans ses bottes quant aux principes sociaux et moraux, le myrte à la main comme cadeau, toujours en train de crier "Mon gendre, tout est rompu !" à la moindre contrariété. Anaïs, la femme au chapeau mangé, désolée et apeurée de cet incident, car si son chapeau traînait accroché à un arbre, c'est parce qu'elle avait une affaire avec un Monsieur qui n'était pas son mari... Beauperthuis, le cocu désigné, pris entre les soupçons qu'il nourrit au sujet de sa femme et la quête éperdue de Faudinard, à laquelle il ne comprend pas grand chose. Tardiveau, vieux teneur de livres, toujours attaché à son petit confort, et désireux de changer de gilet de flanelle. Bobin, neveu de Nonancourt, qui regrette que sa cousine chérie se marie aujourd'hui...
Sur le canevas de Fadinard en quête de ce chapeau de paille d'Italie de remplacement, Labiche a tissé plusieurs toiles superposées de quiproquos, de mensonges, de complications, utilisant la foule des invités à la noce comme masse de manoeuvre qui grossit le caractère borné des personnages qu'ils suivent aveuglément. Ainsi, cette foule s'invite à un repas de gala chez une aristocrate qui attend d'autres invités... On dirait une fête permanente où les gens jouent à la chenille dans la salle de réception après avoir bien bu.
Le génie de Labiche est d'emboîter, en très peu de répliques, des erreurs, des manipulations, des retournements de situation, le point culminant de ce pandémonium étant atteint au début de l'acte IV, où l'on se rend compte que la quête de Faudinard, jusque là linéaire, est en train de se refermer en boucle...
Les personnages, tous aveuglés dans leurs monomanies respectives, ne semblent pas se rendre compte des erreurs qu'ils commettent, et cette naïveté enfantine, conjuguée à l'allégresse et au rythme diabolique des péripéties, font de ce "Chapeau de Paille d'Italie" l'un des sommets du théâtre français. Même si ce n'est ni Corneille, ni Ionesco.