L’histoire en résumé
Une jeune femme est retrouvée morte, décapitée, la tête posée bien en évidence sur le sol de la maison d’un des pontes de la mode et du prêt à porter suédois, Jesper Orre. Peter, policier émérite, est en charge de l’affaire, bientôt rejoint par Hanne, psychologue et profileuse de talent avec qui il a eu une histoire d’amour près de dix ans auparavant. L’affaire piétine quelque peu, Jesper étant introuvable et la victime longtemps non identifiée. Puis les découvertes viennent crescendo : la victime est Angelica, la petite-amie de Jesper, lequel est également retrouvé mort près de sa maison. Entre-temps Peter et Hanne se retrouvent. Qui est l’assassin ? C’est la jeune Emma Bohman (dont le lecteur suivait les péripéties depuis le début du livre), psychotique, qui s’imagine avoir été plaquée par Jesper peu avant les fiançailles. Et l’assassin est en fuite, avec un otage : la petite fille d’Angelica, Wilma, qu’elle se verrait bien garder. Finalement, elle est rattrapée par Hanne, grièvement blessée, et arrêtée par Peter.


Le style
-Récit à trois voix successives qui se répètent (Peter, Hanne, Emma), avec un décalage temporel décroissant puisque les péripéties d’Emma nous sont relatées d’abord « deux mois plus tôt », puis « un mois » etc. Ce décalage est intéressant, stimulant pour le lecteur dans la mesure où les temporalités viennent à se rapprocher pour coïncider dans le présent de l’action finale, vers la fin du livre. C’est-à-dire au moment où la culpabilité d’Emma est évidente.
-L’auteure utilise des dialogues, mais on remarque surtout une narration « psychologique », où les protagonistes dérivent dans les pensées de leur passé (sa mère et son mariage raté pour Peter, son couple malsain pour Hanne, son enfance en général et son professeur de menuiserie, La Vis, pour Emma).
-Le vocabulaire est simple comme dans la plupart des polars et autres romans policiers.


Le milieu
Stockholm, le froid, la neige, beaucoup de neige. Ce milieu, que connaît l’auteure, participe évidemment d’une ambiance angoissante.


La fiction
Nous l’évoquions, les personnages sont construits et révélés en un relief psychologique élaboré, surtout pour Emma. Une partie non négligeable du roman s’emploie au portait de son enfance et adolescence meurtries, avec des parents alcooliques et violents. Et pour cause, cette épaisseur psychologique permet des interprétations lorsque l’étau de la culpabilité se ressert sur Emma. L’une d’elles consiste à placer l’origine de sa déviance meurtrière précisément dans cet univers familial si malsain. L’épisode du « papillon » est notable : Emma s’était vu offrir par son père une chenille, à laquelle elle était particulièrement attachée. La chenille se transforma en chrysalide puis en papillon, avant que sa mère ne fracasse le bocal dans un accès si quotidien de colère.


Le message
Plusieurs thèmes peuvent retenir l’attention, mais je suis sensible au thème de la transformation et à celui de la folie.
La transformation d’abord. L’épisode du papillon est loin d’être anodin et offre une réflexion sur le thème de la transformation. Si elle est inéluctable sur un plan biologique, elle relève d’un choix sur le plan identitaire. Emma repense à son papillon et décide d’incarner sa transformation, certes pour le pire. Cette transformation, ce n’est pas seulement le fait de se couper les cheveux, c’est surtout pour elle aller au bout de sa vengeance, combattre l’injustice, s’avérer dans sa force et son indépendance. Ce sont d’ailleurs les derniers mots de son père : ne laisse personne te dissuader, te décourager.
Les deux autres personnages, Peter et Hanne, combattent et se transforment également au fur et à mesure de l’histoire. Hanne, sans doute pressée de vivre par la maladie de l’oubli qui la guette, parvient enfin à se séparer de son mari autoritaire et maniaque du contrôle. Peter, qui procrastine avec la plupart de ses responsabilités et n’attend pas grand-chose de la vie, ouvre finalement son cœur à Hanne et accepte de partir avec elle au Groënland.
Malheureusement, dans le cas d’Emma, ce combat ne se joue plus que dans sa tête. Ceci nous amenant au thème de la folie.
Le lecteur comprend à la fin du livre qu’Emma est tout à fait psychotique. Le réel n’est plus le référent, tant elle déforme toutes les relations et intentions masculines. Pour elle, tout homme qui tient à ses yeux une fonction de pouvoir, de prestige, est potentiellement intéressé, attiré, amoureux. Elle est prisonnière d’une réalité psychique où elle vit des histoires d’amour avec ces hommes. Notons qu’avec Jesper, lors de l’explication finale, elle ne comprend pas du tout que lui ne comprenne rien, ceci laissant supposer la profondeur de sa déviance.
Sans vouloir forcer le message d’un polar, il pourrait être double sur ce thème : la maladie psychique peut se laisser appréhender partiellement par le vécu enfantin (ce qui n’est certes pas une découverte) ; atteint un certain degré de « folie », il n’est pas dit que la personne puisse s’en sortir. Emma n’est-elle pas, quelques mois plus tard, toujours enlisée dans ses scénarios morbides…

Kevin-1677
7
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le 3 avr. 2020

Critique lue 244 fois

Kevin-1677

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