Fausse modestie
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Il n’y a pas homme dans le monde qui ne se méfie des histoires. Elles font revivre les morts. Si tant est qu’ils ne l’aient jamais été un jour… Il existe un homme qui n’a pas peur. Le commissaire Adamsberg sait qu’elles ont toutes un fond de vérité. Et que si elles ne font revivre les morts, elles agitent en tout cas les vivants…
Une seule chaussure vous manque et tout est dépeuplé
Les morts sortent du cimetière. Enfin, leurs chaussures, pas leur corps. Une découverte macabre pour le commissaire Adamsberg et son adjoint Danglard, en balade à Londres pour un séminaire professionnel. Les chaussures (avec les pieds dedans, ne vous en faites pas) viennent du cimetière d’Highgate, lieu de mystères et d’horreur, qui aurait été gouverné par un vampire… Cela laisse indifférent le commissaire. Pour Danglard, c’est une autre histoire. Premièrement, pourquoi une chaussure est orpheline de sa soeur ? Deuxièmement, il semble reconnaitre dans une paire celles d’un grand-oncle originaire de Serbie…
La vraie question derrière « comment le héros va-t-il s’en sortir » est souvent « comment l’auteur va faire s’en sortir le héros ? ». Un romancier a des droits et des devoirs vis-à-vis de ses personnages : il a le droit de les impliquer dans des aventures ou de les mettre face à des énigmes insolubles mais il est de son devoir de leur permettre de dépasser ces obstacles et de vaincre l’adversité. L’autre devoir de l’auteur est de transformer en cheminement « naturel » une série de situations artificielles. Même si le lecteur sait qu’il lit une fiction, il ne doit pas déceler les artifices de narration qui pourraient le sortir du récit.
C’est le problème de cette aventure du commissaire Adamsberg. Au fur et à mesure du récit, le héros s’enfonce dans la solitude. Cette évolution, perceptible depuis quelques romans, l’amène vers un sentiment de toute puissance. Il ne voit plus ses adjoints que comme des rivaux. Cerné de toutes parts par un ennemi insaisissable, Adamsberg fuit vers la Yougoslavie. Dans le lieu incertain qui donne son nom au livre, il se fait capturer et emmurer vivant. Alors que la Mort s’apprête à le cueillir, le voici sauvé par son rival Veyrenc, qui le suivait discrètement depuis le début de l’intrigue. Ce moment est à l’image du livre, une fuite en avant d’un personnage qui se rêvait héroïque, qui ne peut être sauvé de son hybris, son orgueil que par l’intervention d’un personnage extérieur qu’il n’estime pas. Adamsberg devient dans ce livre une caricature de lui-même, un personnage orgueilleux qui ne supporte pas la contradiction salutaire de Danglard, souvent méprisé dans ce livre.
Le lecteur se retrouve donc seul face à Adamsberg, loin d’être le personnage le plus sympathique de la littérature. En se caricaturant, le commissaire n’inspire plus d’empathie. Ce livre est en somme l’échec du héros, après sa victoire absolue dans Sous les vents de Neptune, une aventure précédente.
S’empêtrer dans une toile, métaphore un peu trop littérale
Cependant, il est difficile de voir derrière la scène du sauvetage miraculeux dans la tombe yougoslave autre chose qu’un Deus Ex Machina, une sorte d’intervention « divine » qui vient débloquer une situation intenable par un retournement douteux. Si ce procédé est souvent une occasion d’exprimer les enjeux moraux d’une histoire, il sert surtout de pirouette scénaristique bien pratique, à comparer au classique « Ta Gueule C’est Magique » d’un meneur de jeu de rôle qui modifie les règles au fur et à mesure de l’histoire pour pouvoir coller à son scénario. Pour revenir aux devoirs et droits de l’auteur, l’intervention divine est parfois une facilité, un aveu de faiblesse où l’auteur ne sait pas comment résoudre les péripéties qu’il fait vivre à son héros.
Le Deux Ex Machina est un artifice. Son utilisation, si elle n’est pas subtilement dosée, vient rappeler au lecteur qu’il ne lit pas une histoire mais une fiction. De ce point de vue-là, le sauvetage du héros par son rival n’est pas le symbole de l’échec d’Adamsberg. Il est celui de Fred Vargas.
Créée
le 13 sept. 2017
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