Un pedigree
6.6
Un pedigree

livre de Patrick Modiano (2006)

"Je suis un chien qui fait semblant d'avoir un pedigree. Ma mère et mon père ne se rattachent à aucun milieu bien défini. Si ballottés, si incertains que je dois bien m'efforcer de trouver quelques empreintes et quelques balises dans ce sable mouvant comme on s'efforce de remplir avec des lettres à moitié effacées une fiche d'état civil ou un questionnaire administratif."

Un pedigree est le récit par Modiano des 21 premières années de sa vie, de sa naissance jusqu'à sa majorité. On ne peut bien comprendre ce livre qu'en ayant une connaissance préalable de l'œuvre et de la biographie de Modiano, de ce qu'a été sa jeunesse et d'avoir une idée de qui étaient ses parents. Sinon on passe à côté de plusieurs références, on ne saisit pas vraiment ce qu'a été la singularité de cette jeunesse desaxée, l'appartement du quai Conti, les fréquentations de sa mère, les trafics de son père, et tout un monde louche qui est lié à ces histoires et qui constitue une partie essentielle de l'univers de plusieurs de ses livres.

L'auteur, dans ce texte publié en 2005, fait en effet œuvre autobiographique sous une forme très personnelle, en accumulant des informations et des faits qu'il a recherché avec minutie. C'est l'écheveau de ses origines et de sa propre histoire qu'il reconstitue avec détachement et distance. On pourrait presque croire à une tentative de se dépouiller de cette histoire, tant la sécheresse avec laquelle il la raconte semble constituer une façon de s'en débarrasser afin de pouvoir la surmonter. C'est que cette histoire est lourde : parents absents et indifférents, enfance transbahutée dans différents internats, relations humaines erratiques. Le thème majeur de l'Occupation est omniprésent, lui Modiano, en étant le fruit : il a été conçu sous l'Occupation, et la rencontre de ses parents ne se serait peut-être pas produite dans un autre contexte. L'un des sujets du livre est comment on parvient à s'extraire de soi-même pour mieux se comprendre et se réinventer, puisque Modiano commencera d'écrire juste après et ce sera une autre vie. C'est donc une histoire de rupture : rupture avec des parents absents, indifférents, trop éloignés de lui, rupture avec une vie d'avant, qu'il raconte sans aucun pathos, avec tout au plus quelques notations brèves des sentiments qu'il a pu éprouver à cette époque. C'est la grande force de ce livre que de raconter cette histoire douloureuse sans jamais faire allusion à la douleur, comme une forme d'exorcisme.

Ce livre est exigeant car il implique de s'intéresser de manière assez approfondie à l’œuvre et à l'histoire de Modiano, et il faut probablement le lire après quelques lectures préalables de ses autres romans. C'est en tout cas un livre très important dans le genre autobiographique et dans toute l'œuvre de Modiano.
Zitto
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le 18 févr. 2015

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