Cinq voix pour raconter un même drame : Un pied au paradis est une merveille de poésie et d’émotion, entre la tragédie et le roman policier.
Admirateur de William Faulkner, Ron Rash n’aurait pas renié la préface de Sanctuaire par André Malraux. L’auteur français saluait l’œuvre de l’écrivain sudiste comme la grande introduction de la tragédie dans le roman policier. Des passions terribles et des dignités à sauvegarder poussent souvent les personnages de polar à commettre l’irréparable. Billy Holcombe, assassin de son voisin, ne peut que se ranger dans cette catégorie.
Au début des années 1950, alors que les Etats-Unis sont engagés dans la guerre de Corée, la vie semble s’être arrêtée de progresser à Oconee, comté rurale des Appalaches du Sud. Le shérif Alexander est appelé par la mère de Holland Winchester : dans l’après-midi, elle a entendu des coups de fusil. Son fils, qui n’est toujours pas revenu, elle le pense mort. Le shérif part à la recherche du cadavre et s’étonne de ne rien trouver par cette chaleur insupportable qui ferait remonter n’importe quelle odeur. Puis c’est au tour de la voisine de parler, la femme de Billy Holcombe, soupçonné d’avoir assassiné Holland. Les pièces du puzzle se mettent en place, le mobile apparaît.
Raconté avec une grande simplicité et une poésie infinie, Un pied au paradis sonde parfaitement les motivations qui guident ses personnages. D’un côté, le shérif Alexander ressasse la fausse couche de sa femme qui a anéanti tous ses espoirs de devenir père et distendu les relations qu’il a avec son épouse. De l’autre, c’est Billy Holcombe qui ne peut devenir père à la suite de la polio qu’il a contractée plus jeune. Un monde s’écroule pour ces deux hommes. Dans une Amérique où l’accomplissement passe par la fondation d’une famille et par le travail (aux champs particulièrement), un meurtre entame ce petit coin de paradis traversé par une rivière : Un pied au paradis a marqué la naissance d’une plume les plus fines pour décrire les âmes de ses personnages et la beauté des paysages.
« Quand le printemps est revenu et que les cornouillers ont illuminé les bois, j’ai tenté de pas songer à tout ce qui avait démarré la dernière fois qu’ils avaient fleuri. Je parvenais à chasser ces souvenirs de ma tête au jour le jour tant j’étais occupée par Isaac et par mes tâches. Pourtant des pensées de ces moments difficiles se cachaient tout au fond de mon esprit comme des arbres morts dans la rivière. Elles remontaient à la surface de temps à autre simplement pour me faire savoir qu’elles étaient toujours là. Alors jamais je doutais que le jour viendrait où je paierais pour tout ce qui était arrivé et que le prix serait bien plus élevé qu’un simple morceau d’or. »