Je suis toujours assez étonné de voir le nombre de gens qui font la fine bouche devant La fonction du balai, le premier roman de Wallace, cette comète si vite passée dans nos cieux froids et silencieux. Je me dis finalement qu’ils ont de la chance, et qu’ils doivent lire l’année durant des livres extraordinaires et merveilleux que je ne connais pas, pour trouver que cette course-poursuite foutraque et brillante peut être si rapidement repoussée de la main, avec une moue mi-dégoutée, mi-condescendante : « trop bavard, trop bordélique, sans but avoué, bla bla lassant, et puis la fin, non mais sérieux la fin ! ». Évidemment, je pourrais essayer d’expliquer en quoi réside à mes yeux le génie de Wallace, mais qui croit encore que c’est un exercice qui pourrait marcher après coup ? J’ai moi-même horreur qu’on m’explique à quel point est formidable un bouquin qui m’ennuie.
Mais l’autre possibilité pour tenter de réchauffer un peu ces tièdes lecteurs serait peut-être de leur conseiller de lire les sept articles regroupés ici, écrits entre 1990 et 1995. Quels que soient les thèmes - le tennis, l’addiction des romanciers US à la télévision, une foire agricole, le tournage de Lost Highway, ou en cerise sur le gâteau une croisière de luxe dans les Caraïbes - David soudain apparait devant nos yeux : infiniment drôle, incroyablement tendre, et diablement intelligent. Sa capacité d’observation et de description (les deux articles pour Harpers sont réellement à pleurer de rire, on se croirait chez Wodehouse ou Saki) n’a rien à envier à sa finesse d’analyse lorsqu’il se penche sur la sociologie du petit écran, ou la richesse des films de Lynch.
Comme un grand frère, ou plutôt comme un cousin qu'on n'aurait pas vu depuis longtemps, mais avec qui le contact se renoue immédiatement, il nous prend par la main, nous explique, nous questionne, nous montre, et chemin faisant, laisse peu à peu affleurer la complexité d’un être à la fois fasciné par ses prochains, et totalement incapable de trouver la façon de se laisser aller dans le courant. Son écriture est si fine, et si simple à la fois, qu’elle finit par transcender le genre. Ni essais, ni roman, ces chroniques (dont 4 font plus de cent pages) se transforment en un dialogue entre auteur et lecteur où l’un parle beaucoup et l’autre écoute de toute son attention. Des textes qui permettent de donner une image plus juste et plus contrastée de Wallace : ni un un faiseur post-moderne à l'ironie facile, ni un petit branleur superficiel et vain, mais un écrivain constamment tourné vers autrui, chez qui chaque question débouche sur une angoisse, chaque angoisse sur un éclat de rire, et chaque éclat de rire sur une nouvelle question.