Extrait de la vidéo en ligne / https://www.youtube.com/watch?v=QyjacgSwmE8


Par rapport au point de vue enfantin, comme chez Nothomb, elle écrit très mal l’enfance. C’est-à-dire qu’elle bébétifie son propos, elle les fait parler d’une manière très stéréotypée, comme les enfants des publicités par exemple — quand y en a toujours un qui zozote et qu’on sent que c’est pour attendrir le spectateur ou le lecteur en l’occurrence. Sauf que d’une, c’est mettre tous les enfants dans le même sac, et c’est une profonde méconnaissance des enfants, parce que la plupart d’entre eux parlent pas comme ça, la plupart ont un langage propre, un mélange entre celui des parents, celui de l’école, celui de leur classe sociale. De deux, on sent que c’est une facilité sans nom d’écrire comme ça, c’est justifier le fait d’écrire comme un pied, avec des phrases courtes, des pensées rudimentaires. C’est nier la violence, la cruauté, la beauté de l’enfance. Elle aurait du, essayer vraiment de se souvenir de ce que c’est, d’être enfant : à la fois un point de vue diffracté, mais aussi ancré dans le présent — un enfant ne fait pas que parler de ses parents, des relations tendues autour de lui — il les ressent, mais il ne les conceptualise pas. Au contraire, c’est par exemple en mettant en scène le fait que l’enfant est toujours avec son chat ou son chien, à mettre l’accent sur les détails microscopiques, à échelle d’enfant, que le chat perd ses poils, que le chat ronronne moins, pleins de détails qui a la fin nous ferait nous demander, tiens, ses parents n’apparaissent pas beaucoup — pourquoi l’enfant est tout le temps fourré avec l’animal, est-ce qu’il cherche pas à combler un manque. Bref, c’est un exemple là, mais ce que je veux dire, c’est que la littérature c’est l’art de la suggestion, et la littérature sur l’enfance devrait l’être encore plus. Au lieu de quoi, on a des auteurs qui pensent qu’écrire comme dans Tchoupi va sur le pot peut suffire.

Et sur le côté classe sociale, pareil, on à une décontextualisation totale des deux protagonistes, de leur situation, de leur travail par exemple. On oppose souvent la littérature populaire à une littérature élitiste, je trouve que sur ce point, les deux sont autant à côté de la plaque. Je veux dire, entre un Delacourt ou une Grimaldi, y a pas beaucoup de différence sur les contraintes que subissent ou ne subissent pas (étonnamment) leurs personnages. On a des souvenirs, des souvenirs un peu mièvres, et déconnectés. Les jolis coquillages qu’on collectionne avec la grand-mère, les voyages en voiture avec les parents.


Les deux sœurs et leur relation, c’est du déjà-vu mille fois : on a je crois, la relation la plus archétypale de fraternité : c’est-à-dire, un éloignement entre deux femmes, l’une responsable, l’autre « rebelle ». Mention spéciale à l’humour de celle-ci, je vous mets quelques blagues :


Mais en fait le problème, c’est que c’est la rebelle écrite par quelqu’un d’un peu gniangnian, c’est-à-dire que sa seule véritable rébellion, semble-t-il, c’est de fumer. Sur le reste, elles sont asexuées, des êtres non-désirants, des petites filles encore, qui n’ont d’autres buts dans la vie que de remplir d’amour le cœur de leur famille. C’est culcul la praline, quoi, y a aucune vraie conflictualité dans ce texte, c’est pareil que quand j’avais lu Raphaëlle Giordano, gentillet à vouloir se tirer une balle — à se sentir limite anormal d’avoir une vie où les factures doivent être payées ou des problèmes de couple, de voisinage, ou même de stress. C’est pour ça que je trouve que c’est con d’appeler ça de la littérature feel-good, je me rappelle que j’avais essayé quand j’étais une mauvaise passe, et je trouvais que c’était vide, inodore, d’une part, mais que surtout, c’était déprimant d’avoir l’impression que les seuls problèmes de ces personnages, c’était quelques kilos en trop ou un boulot un peu plan-plan. Alors bien sûr, ici, intervient le thème du deuil, qui est censé apporter un peu de gravité. Parce que la mère, à la mort du père, sombre, et les filles peu à peu se retrouvent chez leurs grands-parents — et donc, adulte, visiter une dernière fois cette maison, c’est une occasion pour reconvoquer ces souvenirs — et vous avez envie de savoir si je trouve ça bien. Ben déjà, c’est pas original du tout, c’est le genre de structure qu’on retrouve dans nombre de mélo américains. Je crois que c’est ça le problème avec Grimaldi, c’est que c’est le mélange entre un bon gros mélo des familles qui tache, et un épisode de Plus belle la vie. Tout est cousu de fils blancs, on sait que la sœur, elle va finir avec Joachim, le fils de la voisine. Je crois que c’est pour ça que j’ai pas voulu lire la fin, déjà, parce que je m’ennuyais énormément, une impression qu’il manque toujours un nœud narratif dans ses romans feel-good, que c’est juste une accumulation de petites scènettes pour en tirer des leçons de vie, et surtout, on sait ce qu’on a entre les mains, on sait comment ça va se passer, qu’il va y avoir à la limite quelques turbulences, mais que tout va être réglé dans le dernier quart. On sait qu’elles vont probablement retrouver le chat de la grand-mère, qu’elle vont probablement rencontrer son dernière amant, c’est une liste de courses m’a dit quelqu’un sur Facebook, oui, c’est ça, une liste de course à cocher.


YasminaBehagle
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le 14 mai 2023

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