Je poursuis ma petite entreprise qui consiste à me faire une culture féministe un peu plus profonde. Virginia Woolf est une autrice que j'aie toujours eu envie de lire.
Je pense connaître une bonne partie de sa vie, j'ai vu une pièce de théâtre sur son œuvre et sa vie, mais jamais, aussi étrange soit-il, je n'avais lu une seule ligne d'une de ses œuvres.
La chose est maintenant réparée, et je crois que vient de commencer une belle histoire d'amour intellectuel, qui me fait énormément de bien.
Je digresse, mais il y a parfois des livres qui nous marquent durablement, et même des auteurices dont on sait à l'avance que ça va bien se passer entre nous. C'est comme rencontrer une personne pour la première fois et n'avoir aucun doute sur la pérennité de la future relation, sa puissance, son action cautérisante, les petits moments de bonheur qu'elle saura nous apporter.
Une chambre à soi vise à répondre à la question suivante : "Quel rapport entretient les conditions matérielles et sociétales de la femme et le roman ?"
Woolf, avec un style inimitable, teinté d'une douce ironie, parfois grinçante mais toujours drôle et subtile, répond par ceci : les femmes qui écrivent sont cantonnées au roman car elles n'ont pu faire l'expérience du monde mais écrivent depuis leurs chaumières, avec pour conséquences de ne pouvoir accéder à d'autres types d'écrits comme des essais ou bien de la philosophie. Mais qui ne peuvent non plus accéder à certains métiers qui ont été et sont toujours, c'est assez malheureux de le constater, genrés.
Woolf, dans ce pamphlet fictionné et biographique à la fois, esquisse une solution. Afin que les femmes puissent s'émanciper et écrire de nouvelles choses, afin que les femmes n'écrivent pas des livres "de femmes", mais ce qu'elles veulent, en toute indépendance, que ce soit vis à vis des critiques, des universitaires et le monde des hommes en général, elles doivent avoir : une chambre à elle, une serrure sur la porte et 5 000 livres d'argent par an.
Sorte de féminisme matérialiste, j'ai malgré tout le sentiment que ça n'est pas uniquement cela. Malheureusement, ma culture sur le sujet est assez limitée, mais je crois aussi que ça touche à quelque chose d'autre que le matériel. Ou plutôt disons à quelque chose en plus du matériel. Il s'agit avant tout de s'assurer des conditions d’existence qui puissent permettre d'être libre. Et, étonnamment, j'ai repensé à quelques lectures et conférences de Bernard Friot (le sociologue) et son "salaire à vie", à même d'émanciper, sans distinction de genre, les personnes au sein d'une société. Il est triste, en effet, de voir que la pratique de l'art (ou de tout autres choses catégorisées en tant que "passe temps") en général est réservée à des personnes dont les conditions d'existence leur permette de pouvoir penser aux lendemains sans déchanter.
Woolf me semble clairement s'inscrire, de manière anachronique, dans cette pensée-là, mais d'un point de vu féministe et particulièrement vivace dans ses analyses. On pourrait même dire, au risque de dire n'importe quoi, qu'il s'agit, quelque part, d'une précurseure de cette idée, tout du moins selon ce que j'aie pu lire par le passé. Même si les analyses économiques, en tant que système, font défaut dans le livre de Woolf, qui n'a par ailleurs pas la prétention d'aborder véritablement cette question.
En somme, ce court livre donne à penser la condition féminine d'une époque dans ce qu'elle avait et a toujours de particulièrement inique. C'est également une œuvre particulièrement agréable à lire, portée qu'elle est par son style, une intelligence d'analyse fulgurante et une ironie édifiante dans les situations qu'elle moque.