« Je me suis mis à collectionner les lettres de suicide de ma soeur Eunice à l’âge de sept ans. »
S’il existe une meilleure première phrase de roman, je ne l’ai pas encore lue. Elle saisit immédiatement l’attention, on se dit tiens, ça va être quoi cette histoire, curieux, pas vu encore, poursuivons. Sur la même première page, quelques lignes plus loin on trouve ceci :
« Quand Eunice a découvert que je les conservais, elle a préféré me les adresser directement. Dans l’une de mes favorites, elle écrit : « Noah, un dénouement heureux, ça n’existe pas. Il n’y a que de belles escales. » »
Et on est cuit ! Qui est ce Noah de sept ans qui a une lettre favorite de suicide de sa soeur ? Qui est cette Eunice si philosophe qui entend ainsi mettre en garde son petit frère, et pourquoi tant de lettres de suicide, leur nombre suggérant qu’elles restent de simples lettres, sans être suivies d’effet ? Pourquoi pas de dénouement heureux possible ? Qu’ont les escales de jolies ? Bref, on est dedans en deux temps trois mouvements, et comme Noah nous le dit tout de suite, qui que nous soyons il entend nous déblayer l’histoire, ce qu’il entreprend immédiatement.
Nous faisons donc connaissance de ses parents, Margaret et Harry Turner, au moment de leur rencontre, en 1968. Elle termine vaguement des études que ses parents n’ont plus les moyens de lui offrir tout en cherchant un riche mari. Il est client de la librairie dans laquelle elle travaille tout en bossant au Macdo. Il n’a pas un sou, l’emmène voir « Rosemary’s baby » au premier RDV et lit Lovecraft. Tout en lui l’étonne et Margaret est impressionnable : bingo.
Treize ans plus tard, ils sont installés, parents de deux filles et confortablement ensemble. Ce n’est plus l’éblouissement des débuts, les :
« Je t’aime jusqu’à la fin des temps, et même après, quoi qu’il advienne. » Et même après, convint-elle. » (vous sentez la promesse de ce « convint-elle » ?….)
Mais ils sont toujours une famille. Sauf qu’Harry se met à avoir un comportement bizarre…
Il est impossible, à partir de ces indication et des cent premières pages, se savoir dans quoi on s’embarque. Il faut le vivre aux côtés des Turner, lentement accepter les éléments surnaturels et effectuer nos propres aller-retours dans des réalités alternatives. J’avoue à contrecoeur une pointe de déception (une 1/2 pointe, allez) parce que tout est expliqué. Tant qu’à y être, j’aurais aimé un tout petit peu plus de mystère, une occasion de douter. Mais l’atmosphère brumeuse, la délicieuse inquiétude permanente et les très beaux personnages qui nourrissent ces pages fiévreuses en font un roman qu’on ne lâche pas et qui se révèle à la fois divertissant et original. Du pur Fantastique comme il se fait rare, et un premier roman très recommandable.