Il est difficile de faire un plan construit, de rédiger un article sur ce chef d'oeuvre qu'il m'a été donné de lire : conseillé par feu une amie j'ai su que je l'aimerai en écoutant ses paroles élogieuses, elle n'en a pas dit grand chose en réalité mais cela a suffit légèrement à me rendre curieuse. C'est sa plume, raide, aiguisée, servant au macabre, au funèbre. Puis les personnages que l'on déteste, sursaut d'affection le temps d'une ligne, d'une page, pas plus. Les décors rejoignent la plante cadavérique, les descriptions taillées dans une agonie insupportable, époustouflante, enfin le discours pessimiste, dérangeant (à ne pas donner dans les mains de tous).
Le roman dégorge de références, de clins d'yeux culturel que Del Amo refaçonne, redessine au ton de sa personnalité, ainsi l'on découvre un personnage sortant de sa campagne natale, fermier d'origine, fils maltraité par des parents décrits comme des bêtes plus que des êtres humains ; Gaspard rappelle l'anti-héro de Flaubert dans L'éducation sentimentale, d'ailleurs, le titre du livre Une éducation libertine lui fait écho, inverse les espoirs et les rêves, les élans passifs et mous pour forger une histoire à contre sens. Il bâtit, au fil de sa plume, des décors somptueux de macabres, là encore, une réminiscence des poèmes de Baudelaire (Une charogne surtout), des mots durs, tranchant, taillant dans l'âme du lecteur, tissant un sentiment de malaise, de dérangement intense au fil des pages. Nous, pauvres lecteurs, ne sommes pas en sécurité en lisant, en s'abreuvant de cette fascinante narration, chaque phrase délite, détruit avec ironie, avec amour aussi nos espérances et notre attachement à ce personnage principal qui, peu à peu, se transforme dans un voile d'agissements néfastes, dans un drapé d'ambition. Jean Baptiste Del Amo nous donne à voir un être singulier, un être pauvre, misérable au début de ce conte barbare avant sa rencontre diabolique avec Mr Noblesse, Richesse, Ennui, Mephistopheles vêtu d'un sourire, d'une aura nébuleuse, personnage puissant, rôdant par son absence, marquant par sa philosophie sadienne.
Les personnages s'équilibrent, valsent autour d'une figure naïve puis manipulatrice, plaintive enfin suicidaire, c'est un long cheminement, un sentier en apothéose sublime, en apesanteur d'un vide, d'un désespoir, d'une tristesse : Gaspard ne possède pas d'identité, tout d'abord ouvrier, exploité, ensuite corps éphèbe convoité, il est cet étranger à lui même, âme pur façonné dans le charbon d'idée venimeuses, de cet homme pervers exerçant une emprise absolue. Gaspard nage dans un océan de boue, de bourbe, côtoie la plèbe, fait parti de l'étau de la misère dont il va se détacher petit à petit, ses rêves légitimes s'essoufflent pour se métamorphoser en désillusion, pour, eux aussi, se déployer dans un sursaut d'ailes noiraudes. On le voit vivre, on le voit se développer, on le voit bourgeonner mais pas de cette façon amicale, ainsi l'écrivain joue-t-il avec nos nerfs, avec notre attachement lui aussi délité par une évolution à satirique. Au début jeune homme à fleur de peau, à la fin...
L'on ressent, c'est certain, mais pas du bonheur, l'on nage dans un monde glauque, descriptions empoisonnées, lourdes, sèches tissant de leur phrase un sentiment de malaise intense pour le lecteur. Il faut être averti, de bonne humeur, ouvert pour aborder ce roman, l'on n'en ressort pas indemne. C'est la force des mots employés, de la musicalité, du rythme aussi, surtout, lent, regain épuisé, monologues pathos, sentiments dépités, c'est une vie mais quelle vie au final quand on décrit toute la mocheté du monde, quand on fabrique une aura, une atmosphère si lugubre, enlevant nos tripes, nos sourires ? Il ne plaira pas à tout le monde, c'est aux amateurs de malsain à qui il plaira le plus, à la complexité tortueuse de certains être humains.