La Culture entre en (une forme de) guerre
Dans l’ordre chronologique des parutions Une forme de guerre est le premier à être paru dans le monde anglo-saxon et le second en France. Après, comme on l’a compris, la Culture est tellement libre est flexible, que les livres la relatant peuvent être lus dans n’importe quel ordre.
Il semble toute fois intéressant de suivre l’ordre de parution ne serait-ce que pour sentir la construction lente et titanesque du monde la Culture. Nous, francophones avons pu commencer par un livre d’introduction, qu’est l‘Homme des Jeux, qui nous présente la Culture conquérante, malicieuse et colonisatrice sans avoir l’air d’y toucher. La Culture joueuse, stratège et hédoniste.
Dans cet Homme des Jeux, un événement passé marquait encore les esprits, des siècles après : la guerre contre les Idirans. Peuple extrêmement féroce et guerrier, ils ont proposé à l’univers une autre forme de culture que celle gentiment – ou sournoisement – appuyée par la Culture. Les manipulations diplomatiques étaient inefficaces, il fallut se battre.
Toute pacifique qu’elle soit, la Culture a toujours des moyens très efficaces de se débarrasser de ses adversaires et sa technologie est sans pareille dans ce cas là. Une forme de guerre nous narre au présent cet épisode sanglant et plein de poursuites jusqu’au fin fond de l’univers qu’est la guerre Idirans-Culture.
En anglais, le titre est Consider Phlebas issu des premiers vers du poème The Waste Land de T.S. Eliot. Pour un public averti, cela annonce la couleur, la référence à ce poème d’une modernité sans pareil montre l’étendue de la culture de Banks. Ce livre de la Culture sera une quête de l’identité à la fois du personnage principal et de l’identité de la notion de guerre pour un peuple dit pacifiste.
Comme les enjeux dépassent l’humain, une fois encore Banks passe par l’individualité d’un personnage pour nous en montrer les limites. Et quel délice pour l’ontologiste que cet Horza ! Il est métamorphe. Comprend qui peut, je n’irai pas plus loin.
Ce qui est intéressant avec lui c’est qu’il n’est pas le héros de la Culture. D’ailleurs il déteste la Culture. Inversion des rôles. Inversions des valeurs. Les Idirans sont les gentils bourreaux. La Culture les hypocrites assassins. Ou pas.
La morale chez Banks semble s’étioler aussi facilement qu’une page du livre de poche maltraité par le temps et la pluie (une lecture et une averse suffisent). Tout est gris. Ni blanc, ni noir. Les nuances dépendent de l’éclairage, et Banks soignent particulièrement ses projecteurs.
L’histoire d’Horza et du Mental perdu sur la Planète des Morts nous amène à une question cruciale : quelle influence a l’individu sur les événements historiques qui le dépassent? A-t-il même de l’influence, par ses choix, sur quelque chose d’autre que lui-même? Cette question remet en cause le rôle même du roman, de la fiction telle qu’elle est écrite par beaucoup en Occident : la place du héros. Le héros existe-t-il?
Ce qu’on aime dans le space opera d’envergure c’est aussi de pouvoir prendre fait et cause pour un ou deux personnages qui deux chapitres plus loins seront d’illustres ancêtres et qui trois cent pages après seront oubliés et dont les actions, qui se passaient pourtant dans un contexte dramatique et tendu, n’ont finalement pas eu tant que ça d’importance. Cela même s’ils y ont sacrifié leur vie.
Banks se saisit de son objet roman. De sa matière fiction. Et résout l’équation des deux sous la forme d’une course haletante au bout duquel le précipice est dessiné à la craie sur le trottoir.
Magique.