Il y a une chose dont on peut être à peu près sûr concernant Orwell, c'est que ses écrits proviennent du cœur. Chaque ouvrage est un cri, un cri prophétique, un cri de rage, ou un cri de douleur.
1984 était un cri prophétique, Dans la dèche à Paris et à Londres était un cri de rage, Une histoire birmane en est un de douleur.
Orwell est en effet traumatisé, scandalisé, révolté par ses années dans les colonies britanniques. Et chaque page, chaque description, chaque pensée relatée charrie cette indignation. Et tout y passe : le pillage colonial en bonne et due forme, le racisme anglais qui en vient à nier les évidences et à suspecter l'absurde, la corruption des rares colonisés capables de s'en sortir, l'ennui et l'alcoolisme des uns, la mesquinerie violente et sournoise des autres, etc.
Seuls les animaux, finalement, gardent une forme de noblesse. Car comme c'est souvent le cas chez Orwell, les animaux sont souvent plus humains que les humains eux-mêmes. Il n'est pas étonnant que l'auteur d'Une histoire Birmane soit celui de La ferme des animaux.
Quoi qu'il en soit, Une histoire birmane livre aux lecteurs sans aucune retenue l'opinion d'Orwell quant à la colonisation : une histoire de violence dans laquelle tout ce que peut hurler la raison est nié au profit de préjugés racistes infondés et d'une cupidité farouche et insondable. Et au milieu de tout cela Flory (qui n'est autre qu'Orwell, bien évidemment tant les parallèles entre ce personnage et son auteur sont nombreux), trop sensible pour prendre part activement à tout cela, trop seul, trop blessé, trop honteux, trop à part. La tâche de vin imaginée par l'auteur n'étant rien d'autre que la sensibilité béante de ce dernier, le marquant aux yeux des autres au même titre qu'une brûlure au fer rouge...
Paradoxalement, c'est cet être insignifiant, Flory, qui donne sa noblesse à l'endroit, au récit et à la part d'humanité que chacun garde et qu'Orwell parvient à manifester sublimement.
En ce sens, Une histoire birmane est à lire, ne serait-ce déjà que pour la beauté de son écriture, mais aussi pour entendre le cri de douleur d'un homme face à la cruauté et à la barbarie soignée de ses contemporains, ou plutôt, hélas, de ses semblables.