"The mistake ninety-nine percent of humanity made, as far as Fats could see, were being ashamed of what they were, lying about it, trying to be somebody else."
Une place à prendre n'est pas ce à quoi je m'attendais, bien qu'il ait dépassé toutes mes espérances. J'ai attendu quelques années avant de me lancer, sentant qu'il me faudrait un peu plus de maturité, ce fut un excellent choix.
Je m'attendais à une histoire légère, pleine d'humour british sur des situations un peu ridicules d'une poignée de cul-serrés qui se croiraient plus importants qu'ils ne le sont.
J'avais faux.
Ce que nous livre ici Mme Rowling est un roman social beaucoup plus âpre et bien plus sombre que ce à quoi je m'attendais. Certes, il y a de l'humour, mais celui-ci est noir, cynique et ne vous fera que légèrement sourire , le plus souvent par gêne. C'est que cet humour n'est là que pour appuyer l'argument de l'auteur et non pour divertir.
L'idée de Rowling est de nous faire entrer dans la communauté de Pagford, petit village au premier abord bien sous toutes les coutures, dont les membres sont tous très attachés à leurs racines, à leur identité, et tiennent leur commune et ses symboles en (trop) haute estime. Au lieu de tourner cela au ridicule (une bande d'imbéciles qui tiennent en adoration une chose absolument insignifiante à l'échelle de l'humanité, c'est ridicule) l'auteure préfère en montrer le côté dramatique en développant les dommages collatéraux des opinions de chacun. Quand on parle d'opinion, on ne parle pas ici de fanatisme, de skinhead ou de violence physique, mais d'enjeux politiques, de soif de pouvoir, d'hypocrisie, de culte du paraître et de cynisme... À l'échelle d'un petit village de quelques centaines d'habitants.
Et c'est bien là tout le drame, car on nous montre dans ces pages que le simple fait d'avoir des opinions, les simples petites hypocrisies et les toutes petites manipulations ont des conséquences sur la vie de nos voisins, celle de nos proches et finalement sur notre propre bonheur.
Les personnages sont nombreux, mais on n'est jamais perdu bien que Rowling évite les répétitions (et c'est une prouesse) et c'est tant mieux car en les multipliant elle nous dévoile leur conscience, leur histoire, leurs problèmes et surtout leurs envies et pensées. Et c'est là que se trouve toute la force du livre : presque aucun des personnages n'est exempt de reproches. Tous sont intéressés et même les actes les plus nobles en apparence sont motivés par un gain - matériel ou non.
C'est en suivant ces différents axes que l'auteur nous fait sombrer doucement dans une noirceur qui se mêle de plus en plus à des violences physiques et psychologiques jusqu'à ce que le cynisme et le pessimisme ne deviennent omniprésents.
Certaines scènes peuvent déranger malgré le tact de l'auteur mais je dirais qu'aucune n'est inutile : elles servent l'argument, l'intention de Rowling dont le but est de dépeindre l'humanité telle qu'elle la perçoit et cela passe par le fait de démontrer pourquoi on devient qui on est, comment nos choix influencent la vie d'autrui et surtout comment on peut s'acharner sur certains : parfois par cynisme, parfois en ayant pourtant de bonnes intentions.
Puisqu'il faut pousser les clichés jusqu'au bout, je dirais qu'on retrouve ici plusieurs problématiques soulevées dans Harry Potter : les moutons, l'hypocrisie des commères qui pourrissent la vie des autres et la leur par la même occasion, l’attrait du pouvoir, les discriminations, les injustices sociales... Bref, plusieurs questions somme toute classiques mais abordées sérieusement dans HP et reprises ici avec beaucoup moins de biais et beaucoup plus d'intensité et de maturité.
En quelques mots, l'histoire est parfaitement racontée, J.K. prend le temps de développer tout ce dont elle a besoin, ce qui donne une impression de complétude, de cohérence "symptomatique" d'une œuvre maîtrisée. On ressent par les nuances et les thématiques abordées l'intelligence d'une auteure libre et passionnée. Je le recommande et le relirai certainement un jour.