Une place à prendre par Antevre
S'il y a bien un livre qu'il ne faut pas ramener au pédigrée de son auteur, c'est bien celui-là. À l'évidence, Rowling cherche à nous dire qu'elle n'est pas une has been ou une mèmère qui gâte les enfants de tous les pays, toutefois réduire ce bouquin à une simple crise d'égocentrisme est à la fois totalement réducteur, stupide et limite insultant.
S'il est difficile de louper la grosse intrigue qui semble être le sujet principal du livre, à savoir le conflit entre les protecteurs de la cité et la vieille garde du village de Pagford qui veulent renvoyer les pauvres dans le giron de la ville voisine, il est par contre beaucoup plus facile de passer à côté du vrai sujet du livre. Loin d'écrire juste pour fournir un divertissement, Rowling nous parle d'un sujet qui lui tient profondément à coeur: les enfants. Les enfants, et leurs relations avec les adultes. Ou comment nous omettons de nous intéresser aux problèmes de nos jeunes, et comment cela peut dégénérer. Comment aussi nous déléguons cette tâche à quelques-uns, comme Barry Fairbrother dans ce livre, car c'est plus facile de laisser ça à des gens qui semblent s'y connaitre plutôt que d'admettre qu'il existe un fossé à combler entre nos cadets et nous.
À travers la galerie de caricatures que sont les adultes de ce livre (célibataire endurci refoulant son homosexualité, père violent, malveillant et malhonnête, mère carriériste et castratrice, notable du village, commère attitrée, assistante sociale engagée, proviseur adjoint atteint de TOCs...), Rowling ne cherche pas à mettre en place une tragicomédie morose et grinçante, mais bien plus à mettre en relief les adolescents, qui sont les vrais héros de cette histoire: qu'il s'agisse du gamin trop malin qui se sert de son intelligence pour être la star du coin, de la jeune de cité qui est la seule à maintenir un semblant de cohésion dans sa famille, de la cadette moins brillante que ses aînés qui subit le mépris de ses camarades et de ses parents ou de la citadine déracinée en conflit avec sa mère, tous nous racontent la même histoire: des parents qui ne les écoutent pas, des adultes dont le regard glisse avec mépris sur leurs silhouettes dans la rue, et, globalement, un égoïsme systématique et forcené de la part de leurs aînés.
Car c'est un vrai message de tolérance que nous délivre Rowling et sa ribambelle d'archétypes adultes: qu'ils soient autoritaires ou timides, en couple ou célibataires, de gauche ou de droite, pauvres ou riches, engagés ou non, tous commettent le même crime: délaisser le fruit de leurs entrailles pour se regarder le nombril en rangs serrés. Avec des conséquences dramatiques.
Oui, Rowling nous montre qu'il y a bel et bien un monde des enfants et des adolescents, et que ces derniers ne sont pas juste là pour faire figuration et aduler leurs géniteurs. Une relation intergénérationnelle se fonde sur le respect mutuel et la reconnaissance de l'altérité, choses qui n'existent pas à Pagford... et malheureusement, pas beaucoup plus ailleurs.
D'un point de vue narratif, l'auteur a pris des risques, elle s'est essayée à quelques techniques un peu marginales, comme ces flashbacks entre parenthèses ou ces transitions de personnages en plein milieu de l'action. Si l'on est bel et bien déstabilisé au début, on apprécie vite cette ivresse et cette insouciance de la plume qui saute d'un thème à l'autre en fonction du ressenti de l'écrivain qui la tient.
Au final, que retenir de ce livre? Il me semble important de pointer du doigt la mention "livre pour adultes". Si elle m'avait semblé un peu bêbête quand je l'ai lue au dos du livre, elle prend tout son sens lorsqu'on l'a terminé: l'auteur, tout simplement, s'adresse aux adultes avant tout. Le message contenu dans le livre ne vise pas les enfants et adolescents, qui risquent de ne pas comprendre ce qu'on leur veut, mais bien aux parents et aux adultes de manière générale. Pour qu'un jour, espérons-le, ils réfléchissent à deux fois avant de faire passer leurs désirs égoïstes avant ceux de leurs jeunes...