Nature de l'ouvrage

Deschooling Society rassemble plusieurs textes d'Illich autour d'un même thème : la critique de l'école de masse. Les textes sont à peu près ordonnés pour aller du problème aux solutions.


Contenu de l'ouvrage

Le propos d'Illich est d'emblée général : l'école n'est qu'une institution parmi d'autres qu'il faut critiquer. Les institutions modernes, affirme Illich, nous infantilisent, et à ce titre, l'école peut être considérée comme l'institution emblématique de la société moderne de consommation. Cette infantilisation touche plus durement les pauvres, rendus impuissants, passifs, et par suite incapables de se défendre (chapitre 1).


L'enfance, rappelle Illich, est une invention récente, que les enfants eux-mêmes ressentent souvent comme une contrainte injuste. Mais cette infantilisation est nécessaire à la société de consommation, car seuls des individus infantilisés peuvent se satisfaire de consommer passivement. Dans cette optique, on peut considérer le travail des enfants - correctement encadré bien sûr - comme tout à fait bénéfique (chapitre 2).


Pour notre société qui affirme haut et fort la liberté et le droit à l'auto-détermination de l'individu, le pouvoir conféré aux maîtres constitue une contradiction totale. Par de nombreux aspects, nous dit Illich, on peut comparer ce dernier au prêtre. Au fond de l'idéologie scolaire, se trouve l'idée - qu'Illich juge pernicieuse - qu'il est possible de contraindre quelqu'un pour son bien (chapitre 3).


Cela mène Illich à distinguer, au chapitre 4, deux grands types d'institutions. D'un côté, les institutions "conviviales" sont des réseaux qui ne contraignent pas leurs utilisateurs : ainsi des transports en commun, du réseau téléphonique, de la poste, ou encore du marché du village. De l'autre côté, des institutions comme l'école obligent les individus à y recourir, malgré l'absence patente de résultats. L'école crée une demande, ne la satisfait pas - car elle en est structurellement incapable -, mais en conclut que le remède, c'est encore plus d'école. Entre les deux extrêmes se trouve un spectre, sur lequel on retrouve les cafés et les hôtels - plutôt du côté des institutions conviviales -, ainsi que les concepteurs de voitures - plutôt du côté des fausses institutions, car ils alimentent une demande aux effets dans l'ensemble délétères. Il faut promouvoir, contre la consommation passive, l'activité. Dans cette optique, il faut arrêter de concevoir des objets techniques qui encouragent la passivité, mais concevoir plutôt des objets que chaque individu aurait à construire, et dont il aurait la charge. Ce seraient des objets véritablement durables.


Quel est le problème de l'école ? Il y en a plusieurs. D'abord, de façon évidente, l'école confond le chemin et le résultat. Ce sont les mêmes qui enseignent et qui certifient l'acquisition de connaissances : le conflit d'intérêt est évident. Ensuite, on surestime l'importance des enseignants : la plupart des apprentissages arrivent sans intervention extérieure de quiconque, l'enfant n'a besoin de personne. C'est la raison pour laquelle il faut, nous dit Illich, mettre fin au monopole de l'école : il faut mettre en place des réseaux d'apprentissage décentralisés (chapitre 5).


Au chapitre 6, Illich propose quatre réseaux :

  • 1 - un réseau permettant à qui veut apprendre de se procurer un objet (fourniture, outil, machine, etc.) nécessaire à son apprentissage. Dans cette optique, on peut penser que chaque entreprise devrait disposer d'un espace pédagogique ouvert à tous.
  • 2 - Un réseau d'échange de compétences, permettant à qui veut apprendre d'entrer en relation avec qui veut enseigner. Il faut autoriser quiconque le souhaite à enseigner : s'il parvient à constituer un public, alors sa rémunération sera justifiée. Ce devrait être aux entreprises de former leurs travailleurs : tous (l'apprenant et l'entreprise) auraient intérêt à ce que cette formation se passe au mieux.
  • 3 - Un réseau permettant à qui veut apprendre d'entrer en contact avec d'autres individus apprenants, afin de constituer des groupes de travail.
  • 4 - Un réseau permettant à qui veut apprendre d'entrer en contact avec les véritables pédagogues. En effet, l'aventure intellectuelle nécessite souvent un ou plusieurs guides, et ceux-ci pourraient émerger naturellement une fois le monopole de l'école et des programmes rigides abolis.

Tout cela mène Illich à définir, au septième et dernier chapitre, un nouveau type d'homme : l'homme épiméthéen, opposé au progressisme prométhéen. L'épiméthéen s'oppose à ce monde technologique créé par l'homme de toutes pièces, et auquel il faudrait maintenant s'adapter. Nos désirs, nos peurs, notre imagination elle-même, sont formatés par la société de consommation. Nous vivons dans un monde où tout a été prévu, ou tout besoin est nécessairement comblé par une institution. Nous rêvons d'un monde où le moindre contact serait prévu, justifié, hygiénique. Et pourtant la frustration ne fait qu'augmenter. Comme Sisyphe et Tentale punis pour avoir voulu défier la mort, nous courons toujours plus vite après ce qui se dérobe : nos objets techniques créent des désirs plus vite qu'ils ne peuvent les satisfaire, et cet emballement effréné détruit notre planète.


En en sens, nous voilà revenus à un stade primitif, dans lequel l'homme est dépassé par les forces de l'environnement. La rébellion tragique des Grecs ne nous est plus accessible. Mais il faut pourtant lutter contre l'ethos de la non-satiété et contre la vision qui fait de l'être humain un être nécessairement dépendant d'institutions pour vivre.


Remarques

Deux choses frappent à la lecture de Deschooling Society : d'abord, la thèse, d'une radicalité ébouriffante ; mais ensuite, la légèreté de la démonstration de cette thèse radicale.

Illich, en effet, affirme beaucoup, mais démontre peu. Les constats sont présentés comme évidents, les idées sont "justifiées" au moyen d'analogies discutables (la comparaison prêtre/enseignant, par exemple, m'a semblé déplacée).

On sent bien à la lecture que les sept chapitres, pourtant remaniés, étaient à l'origine des textes indépendants. Les thèses et les exemples vont et reviennent, sans qu'un raisonnement général ne se dégage. C'est vraiment dommage, parce que c'est la thèse centrale qui en pâtit.


Avis

Malgré la faiblesse de l'argumentation, la thèse est si frappante, que la lecture de Deschooling Society reste hautement profitable. Certaines affirmations, voire certaines pages, sont renversantes. L'ouvrage ouvre des portes, indique des chemins peu pratiqués, fait signe vers des horizons qu'on n'imaginait même pas. Au fond, plus qu'autre chose, c'est un Manifeste : Illich affirme ce qu'il faut faire, ce qu'il ne faut pas faire. Il ne s'agit pas de faire de la philosophie ou de la science : il s'agit de se libérer de la tyrannie psychologique de l'école et des institutions.


Les ouvrages aussi frappants étant, dans mon expérience, très rares, je ne peux que recommander celui-ci le plus chaudement possible.

oaoao
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le 2 sept. 2024

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oaoao

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