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Une soirée entre amis est un petit peu le résumé de l’œuvre de Pinter, et aussi de tout ce qui fait qu'on l'aime ou qu'on le déteste (parfois les deux à la fois).


Il y a d'abord l'origine absurdiste de son œuvre.


On l'oublie souvent de notre coté du channel mais le royaume de sa gracieuse majesté est aussi la deuxième patrie du théâtre de l'absurde. Pinter en est, avec Stoppard et sans mentionner le traitre Beckett, un des principaux représentants dans la perfide Albion. Dès la fin des années cinquante The Room est une des premières représentantes de ce genre hautement existentialiste.


C'est d'ailleurs un des aspects les plus datés. Le côté "n'est-ce pas là une sublime métaphore de la condition humaine?" a un peu fait son temps. Les ressors de l'absurde, on en a assez vite fait le tour. Du coup le vague dans lequel évolue les protagonistes semble fréquemment artificiel. C'est d'ailleurs une façon récurrente de Pinter. On ne parle pas du premier ministre de l’Angleterre, mais de "l'homme qui dirige ce pays". Ce n'est pas la bourgeoisie d'argent, l'aristocratie politique qui dirige le monde, mais "nous, tu sais bien, nous..." En cherchant à universaliser son propos en effacer toute spécificité de temps et d'espace, Pinter ne fait que dater ses pièces. Enfin, en précisant les contours du monde social dans lequel évolue ses protagonistes, il évite pour la meilleure part les plus gros écueils du style.


Il y a ensuite le Pinter des années septante et des drames plus intimistes, dont le plus connu est Betrayal, récit mémento-isé d'un adultère. C'est un peu le Pinter le plus traditionnel, loin d'être le plus passionnant.


Pourtant ici cette perspective ouvre à des belles idées sur le rapport homme/femme. Pour circonscrites à une certaine bourgeoisie anglo-saxonne à l'ancienne typique qu'elles soient, les observations de Pinter n'en manquent pas de perspicacité sur les rapports de domination au sein du couple.


Enfin il y a le Pinter politique des années 80/90 et tout leur ribambelle de métaphores de l'impérialisme politico-culturel anglo-saxon. Et là ça donne dans la grosse dénonciation. Ce n'est pas un mal en soi, mais ce n'est pas non plus la période la plus subtile de l’œuvre de Pinter. C'est parfois avec des gros sabots qu'il fustige les "crimes de la démocratie" et du "nouvel ordre mondial", même s'il faut reconnaitre qu'il le fait avec un acharnement sadique souvent jouissif.


Une soirée entre amis a été créée en double programme avec la langue de la montagne qui traite (presque) ouvertement du traitement des kurdes par le gouvernement d'Ankara. Il est en effet facile de lire les deux pièces comme les deux faces d'une même pièce. Une soirée entre amis présente le monde des riches et des puissants, de ceux qui tirent complaisamment les ficelles des tragédies qui se jouent dans la prison de la Langue de la montagne. Il y a une certaine jouissance perverse dans la façon qu'a Pinter de peindre la dépravation et le cynisme aberrant de ceux qui sont de facto au-dessus des lois.


On peut penser ce qu'on veut de ces différents éléments (moi-même je ne suis pas sans penser qu'ils sont traités souvent avec une absence de recul qui frise le comique) mais il n'empêche qu'ensemble ils font de la voix de Pinter une voix distincte et unique. Pinter disait de lui-même qu'il n'était pas théoricien du théâtre, qu'il se contentait juste d'écrire des pièces. Même si elle est limitatrice, cette modestie semble appropriée: Pinter écrit des pièces qui au-delà de leur trucs, des artifices pinteresques, sonnent vrai, et disent quelque chose d'authentique sur nous et notre monde.

Listening_Wind
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le 3 août 2016

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