Un livre très plaisant, réjouissant même à lire et ce à différents titres :
-L'écriture et le style : un vocabulaire très riche, quelques références érudites, agrémentant avec délice une écriture limpide mâtinée d'humour et ponctuée de parties de jambes en l'air mémorables. Un texte qu'à ce titre l'on pourrait qualifier d'hybride sans jamais être inégal.
-L'histoire pour elle-même : nous suivons la vie pour le moins originale et mouvementée de Paul Blick et de son petit cercle, en même temps que les péripéties et vicissitudes de la Vème République. Le roman nous offre des regards croisés, hétéroclites sur cette période de cinquante ans. Celui de Paul, regardant résolument à gauche, s'égayant lors de 1968 et s'éteignant peu à peu au fil des compromissions et des revirements, mitterrandiens notamment. Celui de sa mère, dont au contraire la rigueur sémantique de Mitterrand réjouit la correctrice de profession. Ceux de sa femme et sa belle-famille, regards bourgeois surveillant avant tout la rondeur du portefeuille, épris d'Adam Smith et voyant d'un bon œil la libéralisation économique. Nonobstant cette dimension politique fil rouge, le livre explore les méandres de la vie singulière de Paul, au travers de laquelle la politique joue un rôle assez secondaire. En effet, passée l’effervescence propre à la jeunesse, ébullitions de débats, de sexe, dans un cadre orgiaque où l'hubris plonge allègrement dans l'eau iridescente du présent, Paul se referme peu à peu sur lui-même. Socialement inadapté dans son désintérêt pour l'argent et son manque d'ambition, à contre-temps dans la mesure où l'emploi de sa femme fait confortablement vivre la petite famille au sein de laquelle il est homme au foyer, il est sauvé d'une forme de léthargie mentale par un clin d'oeil du destin. On lui fait commande de photographies mettant en valeur les arbres, profession-passion qui lui permet de se tenir loin de ses contemporains. Le succès de toute cette entreprise lui garantit l'éloignement définitif du salariat, bien qu'elle accentue son retrait du monde des vivants.
Par où l'on voit que ce destin unique n'est pas tant celui d'un français que celui d'un homme, traversé par les épreuves du temps autant que de son temps, s'efforçant de tenir debout tant face aux désillusions de la vie, celles du fils, du mari, du père, qu'à celles d'une vie politique dont les pérégrinations suivent insidieusement une modernité acéphale gonflée à l’orgueil pour atteindre le moindre dollar.