On a tant écrit et parlé de ce Goncourt 2023, que je ne m’attarderai pas à répéter ce qui, maintes fois, a déjà été dit : une fresque romanesque en Italie ; un amour impossible entre Mimo et Viola ?; la montée du fascisme ; une galerie de personnages – la grande famille noble Orsini, « les rouges du Vatican (…), les noirs du régime » jusqu’aux soulards des bas-fonds florentins et bien sûr l’art de la sculpture.
Au fil de 600 pages fluides, le temps s’étire. On prend goût à ce long voyage plein d’émotions, politique et artistique. On découvre, avec plaisir et curiosité, ceux qui vivent à Pietra d’Alba, Florence et Rome.
Mais pour moi, « Veiller sur elle » restera d’abord une ode à la singularité, à l’audace de suivre son intuition, au courage de ne jamais transiger avec ses valeurs, au risque de déplaire et de se sentir parfois à contre-courant.
En effet, Mimo longtemps moqué pour sa petite taille, surnommé « le nabot », croira, envers et contre tout et tous, en son « talent inouï et inné » de sculpteur. Viola et son « don étrange d'apparaître », « funambule en équilibre sur une frontière trouble tracée entre deux mondes » restera une femme debout.
« - Je préférerais plaire à tout le monde.
- Bien sûr. C'est pour ça qu'aujourd'hui tu n'es rien. » (page 185) répondra -t-elle à Mimo dans une réplique culte.
Son magnifique poème mérite d’être aussi cité ici :
« À toi qui n'es pas née, qui ne sais pas encore ce qu’est d'être blessée / De tomber des nuages et de te relever / Quand ils te demanderont de renoncer, de te coucher, de t'allonger / Quand ils voudront te faire taire, t’amadouer, te désarmer / Je suis une femme debout comme tant d'autres avant nous / Je suis une femme debout, et tu le seras aussi. » (page 463)
Viola nous emmène dans un « monde de nuances infinies ». Elle prend le temps de trouver les mots justes et précis pour nommer, faire exister et assoir le sens.
« - Tramontane, sirocco, libeccio, ponant et mistral.
J'avais eu le malheur de dire « il y a du vent ». Viola m'avait donné un coup dans l'épaule, exaspérée. - Les mots ont un sens, Mimo. Nommer, c’est comprendre. « Il y a du vent », ça ne veut rien dire. Est-ce un vent qui tue ? Un vent qui ensemence ? Un vent qui gèle les plants sur pied ou les réchauffe ? » (pages 531 et 532)
Merci à Jean-Baptiste Andrea et à Mimo et Viola, ses « jumeaux cosmiques (…) liés, par-delà le temps et l'espace, par une force qui nous dépasse et que rien ne pourra jamais briser. »