Célèbre roman réécrit à la sauce philosophique, la première moitié traine en longueur : Robinson, seul sur son île, tente de recréer le mode de vie propre à sa civilisation. Cela donne lieu a un déballage de considérations métaphysiques farfelues, voire psychanalytiques (l'île étant assimilé à sa soeur puis à sa mère, et Robinson la fécondant au propre comme au figuré, Freud n'est pas très loin...). N'étant pas sûr de savoir si l'auteur cherche à montrer son personnage comme ayant perdu la tête ou s'il l'utilise pour pérorer sérieusement sur des abstractions délirantes, je vais lui donner le bénéfice du doute.
Ce roman n'a pas pour but d'être une représentation réaliste de la survie sur une île, mais de se servir du contexte pour déployer symbolisme et allégories, sur lesquels l'auteur a eu la main lourde. La postface souligne :
« "Je tâtonne à la recherche de moi-même dans une forêt d'allégories", affirme le personnage principal, (p.216). Ce pourrait être également la sensation du lecteur. »
Cela continue dans la seconde moitié mais le rythme décolle un peu grâce à l'arrivée de Vendredi. Si celui-ci donne son titre au roman, il reste néanmoins un personnage secondaire dont l'importance ne passe que par son impact sur la vie de Robinson. Ce dernier abandonne le mode de vie strictement planifié de la simili-civilisation qu'il a construit, pour adopter celui au jour le jour de Vendredi. La culture occidentale apparait chronophage, insatiable, stressante et insatisfaisante pour Robinson, sur qui elle finit par peser. Cet aspect rend cette seconde partie plus démonstrative, elle parle plus au lecteur. C'est d'ailleurs l'occasion pour l'auteur de caser des expressions comme "habitus" ou "éternel retour" pour bien signifier que c'est de la philo.
Pour autant, la vulgarisation des questions philosophiques n'est pas toujours à la hauteur. Michel Tournier voulait la faire passer sous la forme d'un roman qui puisse être accessible, populaire, agréable à lire ; or les cent premières pages ne manqueront pas d'assommer l'innocent lecteur qui pensait s'amuser.
Quant au lecteur détaché qui cherche un style artistique, il repartira aussi l'air contrit, la mine basse, car sans être mauvaise l'écriture ne sort pas non plus de l'ordinaire. Elle fourmille de petits mots inusuels, recherchés, et de jargon propre à certaines disciplines, par exemple la navigation, qui sont venus enrichir mon vocabulaire ; mais le langage soutenu ne décide pas plus du style que le sel la qualité d'une viande. le niveau de langage participe au style en correspondant au ton que l'auteur cherche à adopter ; plus soutenu ne veut pas dire mieux écrit. Dans notre cas, il n'y a pas de ton particulier ; il s'agit de phrases types, sans rythme, sans musicalité, purement fonctionnelles. Ce manque de style se retourne contre l'auteur lorsqu'on tombe sur le même mot pour faire bien plusieurs fois ; ainsi "déréliction", employé trois fois en moins de soixante pages, saute aux yeux du lecteur dans toute son artificialité. Je reprocherais de même à l'auteur de ne pas varier ses métaphores : "épées de feu" est employé plus de quatre fois pour parler des rayons du soleil. La figure sonne faux et met mal à l'aise la première fois ; il n'y a pas de raison pour que l'effet soit meilleur au bout de quatre.