Vernon Subutex est un ancien disquaire qui fait faillite, et après avoir vécu aux crochets d'un ancien ami vedette du rock, finit à la rue après la mort de ce dernier. Commence alors le bal tragique où se bousculent tous les visages d'une génération accro à la drogue, au sexe et finalement habitée par un vide moral où se nichent tous les extrémismes (gauchisme, islamisme, libéralisme, fascisme et nihilisme). Le regard est dur mais franc. Il se consacre à ces anciens rockeurs qui partagent tous, outre cette passion, leur vie dans la capitale française. Ils sont tous marqués par un système politique défaillant : libéral économiquement, cruel socialement et complètement dénué de repères, qu'ils soient moraux ou civilisationnels. Dans ce cauchemar des paradis artificiels (drogues, sexes, vies immorales voire amorales), le seul personnage ayant une réelle sincérité est le protagoniste qui tout doucement tombe dans une déchéance sociale et humaine. C'est l'hypocrisie d'une société qui se lève dans cette capitale qui sent bon les ruines d'un monde ancien. Sur ces ruines, ce sont les religions et les profiteurs qui règnent en vautours. Virginie Despentes a cerné le monde dans lequel nous vivons.


Le style est agréable : il est trash sans être vulgaire, lapidaire sans être expéditif et il nous mène dans un labyrinthe de vies qui s'entremêlent avec une virtuosité étonnante. On ne s'ennuie jamais et les personnages nous paraissent tous d'une profondeur creuse, en ce sens que leur vide intérieur est sublimé par l'auteure. Le pays nous est montré fracturé comme une mosaïque tachée de vomi, de sperme et de sang. La violence sociale de notre époque nous est envoyée à la figure, avec toutes ses conséquences sur une génération qui finit peu à peu à sombrer dans le néant dans lequel elle a été élevée. La capacité formidable de l'écriture à nous faire voir, outre le rock et Paris, la nature humaine quand elle est confrontée à la misère, nous fait douter de la nonchalance assumée par Virginie Despentes. Evidemment, on rit énormément aussi en lisant ce livre qui, une fois la dernière page dévorée, nous glace le sang. La violence du vocabulaire et sa transgression sympathique nous ramène au sujet fondamental du livre : la transgression n'est-elle pas l'expression d'une société malade et en fin de vie ? Le livre n'est pas pour autant politique, car il nous fait comprendre chacun, nous faisant douter de nos convictions propres, nous poussant à questionner même les principes directeurs de nos vies. On se plait à craindre la précarité de celle-ci. Cependant, il nous fait réaliser un impératif : chacun doit pouvoir vivre dans la dignité, voilà pourquoi on ne peut qu'aimer Vernon Subutex.


Evidemment, le livre a des défauts :- l'omniprésence de la drogue qui finit par nous déconnecter des personnages en partie
-la vision très parisienne du monde, n'existe-t-il pas une province ?

PaulStaes
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs livres de l'univers. et Livres lus

Créée

le 3 juil. 2017

Critique lue 290 fois

1 j'aime

Paul Staes

Écrit par

Critique lue 290 fois

1

D'autres avis sur Vernon Subutex, tome 1

Vernon Subutex, tome 1
darknight
5

ennuyeux et caricatural

C'est le premier Despentes que je lis, j'avoue avoir été déçu. Le récit partait bien et n'était pas dénué de qualités, mais le livre devient assez vite une succession de portraits peu intéressants...

le 20 févr. 2016

54 j'aime

3

Vernon Subutex, tome 1
eloch
7

"L’époque plébiscite la brutalité"

A propos du dernier livre de Virginie Despentes, on peut lire un peu partout que la colère de l'écrivaine est intacte. Tant mieux ou tant pis car ce n'est pas ça qui ressort en premier lieu de...

le 22 janv. 2015

49 j'aime

8

Vernon Subutex, tome 1
BrunePlatine
8

Radiographie du XXIème siècle

Je viens tout juste de refermer ce bouquin : c'est la première fois que j'accroche vraiment avec Despentes, et pas une petite accroche, un vrai coup de coeur. Ce roman, aux allures de vrai-faux...

le 29 avr. 2015

39 j'aime

12

Du même critique

Monstre : L'histoire de Jeffrey Dahmer
PaulStaes
9

Peut-on pardonner à Jeffrey Dahmer ?

L'une des questions philosophiques les plus profondes évoquées par cette nouvelle excellente série de Ryan Murphy (c'est assez rare pour être noté) rappelle d'une certaine façon à mon esprit pourtant...

le 6 juin 2023

26 j'aime

13

La Tresse
PaulStaes
3

Niaiseries, caricatures et banalités.

Laetitia Colombiani a écrit un livre de magasines féminins bas de gamme, qui ferait presque rougir Amélie Nothomb ou Marc Lévy par sa médiocrité. Pourtant, l'envie était très forte : une publicité...

le 2 juil. 2017

24 j'aime

10

Orgueil et Préjugés
PaulStaes
5

Les aventures niaises et mièvres des petites aristocrates anglaises

Âpre lecteur de classiques en tout genre, admirateur absolu de tous les stylistes et grands romanciers des temps perdus, je m'attaquai à Orgueil et Préjugés avec l'espérance d'un nouveau coup de...

le 21 sept. 2022

17 j'aime

11