Alors, bien sûr, le premier chapitre de ce premier tome de "Vernon Subutex" m'a fait croire que Despentes avait écrit ce livre pour moi. Sur moi. Sur mes potes. Parce que toute la musique que j'aime ou presque y était. Et aussi toutes les peurs. Tous les regrets. Toutes mes erreurs. Mes lâchetés. Mes contradictions. Oui, si je ne suis pas "Vernon Subutex", il s'en est fallu de peu que je le sois. Alors du coup, il était clair pour moi que ce livre serait essentiel dans ma vie. Puis je suis entré dans le coeur du livre, j'ai commencé à enchaîner les monologues, les crises intimes de personnages - non, de vrais gens - qui n'étaient plus moi, mais que je connaissais de près, de loin, de réputation. J'ai compris que le hameçon que j'avais gobé d'entrée et le fil qui m'entrainait hors du confort de la rivière, patiemment tiré par Despentes, allait m'obliger à visiter, une par une, de multiples vies. Et expérimenter au premier degré de multiples souffrances. Trop de souffrances sans doute. Le piège s'était refermé. La lecture de "Vernon Subutex" serait convulsive, obsessionnelle : toute la profonde misère de notre monde se trouvait exposée dans les pages vigoureuses du livre de Despentes, et il allait falloir aller jusqu'au bout. Très vite. En apnée. Bien sûr, j'ai fini par overdoser sur tous ces freaks - camés, putes, actrices porno, skinheads, attachés de presse - et à essayer de me rassurer en le disant : "Merde, elle exagère, Virginie, ce microcosme parisien du début du XXIeme siècle, ce n'est pas le monde, quand même...". Sauf que si, c'est exactement ça, notre monde : car nous pleurons tous notre chienne euthanasiée, notre fils mort d'overdose, notre grand amour tué par la routine et l'indifférence, nos illusions détruites par la brutalité du Capital (avec un grand "C"). Et nos amis que nous avons laissés partir dans l'indifférence. Commencé dans une joyeuse furie punk, "Vernon Subutex 1" se termine dans une jam d'apothéose entre Jimi Hendrix et Janis Joplin. Et par un décollage à la verticale de Subutex qui nous offre une vue panoramique accélérée de tant d'autres vies que nous n'avons pas (encore ?) vécues. Une fin magnifique pour un livre e.s.s.e.n.t.i.e.l. Et bouleversant, donc. Mais aussi très drôle, j'ai oublié de le mentionner.


Maintenant, faut-il vraiment qu'il y ait un tome 2 ?


[Critique écrite en 2016]

EricDebarnot
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les livres qui ont changé votre vie et Mon périple littéraire, de 7 à 77 ans (pas encore échus) [Liste en construction]

Créée

le 3 juin 2016

Critique lue 5.8K fois

58 j'aime

15 commentaires

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 5.8K fois

58
15

D'autres avis sur Vernon Subutex, tome 1

Vernon Subutex, tome 1
darknight
5

ennuyeux et caricatural

C'est le premier Despentes que je lis, j'avoue avoir été déçu. Le récit partait bien et n'était pas dénué de qualités, mais le livre devient assez vite une succession de portraits peu intéressants...

le 20 févr. 2016

54 j'aime

3

Vernon Subutex, tome 1
eloch
7

"L’époque plébiscite la brutalité"

A propos du dernier livre de Virginie Despentes, on peut lire un peu partout que la colère de l'écrivaine est intacte. Tant mieux ou tant pis car ce n'est pas ça qui ressort en premier lieu de...

le 22 janv. 2015

49 j'aime

8

Vernon Subutex, tome 1
BrunePlatine
8

Radiographie du XXIème siècle

Je viens tout juste de refermer ce bouquin : c'est la première fois que j'accroche vraiment avec Despentes, et pas une petite accroche, un vrai coup de coeur. Ce roman, aux allures de vrai-faux...

le 29 avr. 2015

39 j'aime

12

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

205 j'aime

152

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

191 j'aime

115

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

190 j'aime

25