Mon 6/10 n'est pas un 6/10 teinté d'aigreur, de haine ou d'irritation à l'égard de ce livre, bien au contraire, tout mon respect va à Virginia Woolf. A elle seule, elle a dirigé un mouvement littéraire ancré dans son temps, désireuse d'orienter la littérature fantastique et réaliste vers un hybride qui mélangerait le thème de l'un et la forme de l'autre. Une littérature du "stream of consciousness", le flux de conscience, cette façon de capturer les instants présents, les sensations, les réflexions, et surtout les réactions humaines du moment, aussi rapides soient-elles. Tâche difficile voire impossible qu'elle parvient à relever mais qui malheureusement donne un livre extrêmement complexe.
Il y a là quelque chose qui tient de la psychanalyse, cette capacité à plonger dans la conscience d'une personne, à lire ses moindres pensées, les plus courtes qui traversent son esprit en réaction à des stimuli, l'élément le plus fugace. Cette littérature psychanalytique est une façon singulière d'aborder ses personnages. C'est en fait ce qui fait l'originalité du livre. Plonger au cœur d'une famille, de sa vie paisible, sauter ses tourments puis la peindre de nouveau en restant sans arrêt auprès de chacun des personnages. Il ne s'agit plus de proximité avec eux mais d'une véritable intrusion, et le lecteur se balade d'une pensée à une autre, à son gré. Même la seconde partie sans personnages est une nouvelle expérience en sois, et elle est brute. Elle tente de raconter le flux de conscience du temps qui passe, cette chose immatérielle qui ne pense pas mais qui livre des sons et des sensations quand bien même personne n'est là pour les sentir.
Le livre est une sorte de défi littéraire, une expérience pour son écrivain mais un objet inabordable et lourd pour le lecteur. Il faut s'accrocher. Vraiment. Suivre le récit et comprendre ce qu'il se passe demande une rigueur sans faille. L’œil doit s'agripper aux lignes et rien ne doit le perturber, et finalement c'est ce que je reproche un peu à Virginia Woolf, d'avoir chercher à donner à son roman une dimension expérimentale, d'être aller au plus loin en délaissant certains lecteurs et en ne touchant que ceux près à relever le défi d'une telle lecture.
Qui est près alors à lire un livre où les pensées des personnages sont plus abondantes que leurs actions. ? Un livre sans intrigue avec seulement des réflexions redondantes qui s’entrechoquent, qui souvent sont belles et qui font sens mais qui peuvent agacer de par leur nombre ?
A ce stade il est difficile de parler de roman. Le roman tel que le 19ème siècle l'avait construit. Certes il y a des personnages et ils font des choses et en cela ça appartient au genre romanesque mais Virginia Woolf avait, semble-t-il, déjà entamé un travail de destruction du héros et de transformation du personnage et ainsi rejoint l'avant-garde de ce qui donnera plus tard le Nouveau Roman.
Un livre important mais vraiment difficile à lire.