Après Envoyée spéciale, irrésistible parodie de roman d'espionnage, l'inénarrable Jean Echenoz a jeté son dévolu sur le polar noir avec Vie de Gérard Fulmard, dans lequel le lecteur fidèle retrouve le style enlevé et le sens du burlesque d'un auteur qui déçoit rarement. L'écrivain n'est jamais meilleur que quand il évoque la vie d'un individu sans qualités, comme le dénommé Gérard Fulmard (quel nom !), dont l'existence médiocre va s'emballer à la suite de circonstances que seul l'auteur de Les grandes blondes pouvait imaginer. Quand Fulmard raconte à la première personne les différentes péripéties de ses (més)aventures, soit une bonne moitié du livre, c'est du nanan, une suite de scènes croquignolettes que le style très visuel et racé de l'écrivain érige en véritable symphonie pathétique mais gouleyante. Le romancier est un tantinet moins inspiré quand il nous fait visiter les arcanes d'un parti politique où la lutte pour le pouvoir fait rage. Echenoz multiplie les portraits avec quelques clins d’œil évidents à des personnalités existant réellement mais il y a là une accumulation de personnages et de rebondissements qui nous éloignent parfois de ce cher Gérard Fulmard. C'est un léger bémol car l'écrivain est un équilibriste qui réussit toujours à se rétablir et à repartir de plus belle, intégrant avec bonheur les digressions les plus inattendues comme par exemple la défenestration de Mike Brant, chanteur à la mode et de charme des années 70.