Samuel Belet a beau être orphelin, il a à l’aube de ses vingt ans un bel avenir devant lui grâce notamment au généreux M. Loup, qui instruit le jeune paysan et lui a trouvé une bonne place. Mais, suite à un chagrin d’amour, la conviction de Samuel d’être irrémédiablement seul au monde l’emporte. Quittant sans un au revoir son protecteur et sa Suisse natale, il part vendre sa force en Savoie puis à Paris, indifférent aux aléas qui modèlent sa trajectoire.
Plus encore qu’avec la Grande peur dans la montagne, l’écriture de Ramuz m’a embarqué. Avec ses airs de récit de formation classique et son attention naturaliste à la rudesse de cette vie simple, Vie de Samuel Belet pourrait presque passer pour un roman encore inscrit dans les grands courants du XIXe. Il en a en tout cas toutes les qualités. Mais il y a en plus chez Samuel une solitude, un désespoir et une difficulté à se saisir soi-même qui sont bien ceux des héros du début du XXe, de Martin Eden aux personnages de Svevo, et qui sont annonciateurs de la grande crise du personnage et de la conscience de ce siècle. Cette gravité inhabituelle pose les conditions d’une résolution lumineuse et émouvante, qui achève de faire de Samuel un personnage profondément attachant en raison même de ses difficultés à entrer en relation avec les autres.