Vies minuscules
7.8
Vies minuscules

livre de Pierre Michon (1984)

Vies minuscules, de Pierre Michon est un roman qui se présente sous la forme de huit récits consacrés à la vie d’un ou deux personnages chacun. Chaque personnage a un lien, familial ou non, proche ou éloigné, avec un narrateur qui se révèle être l’auteur lui-même, cachant sous ces huit récits un large roman autobiographique. L’auteur se consacre à ses souvenirs d’enfance, mais aussi à la difficulté d’écrire qu’il rencontre dans sa jeunesse.
Michon écrit, dans Le roi vient quand il veut, à propos de ses courts récits de vie: "Écrire des vies, c'est inventer l'exigence de gens qui ont existé pourtant, qui ont eu un état civil, c'est redoubler l'illusion réaliste, l'effet du réel... et, pour peu que dans cette opération trouble on attrape un peu de vérité, on fait peut-être revivre fugacement, l'espace de deux phrases ou de deux mots, ces existences évanouies.". Il déclare aussi utiliser plusieurs récits pour un seul roman parce que pour lui la littérature ne se prend pas de face, on doit trouver des ruses, des biais.

Les deux premières vies mettent en avant les racines inventées et lointaines de l’auteur, présentées alors comme une justification à son antagonisme, entre l’élan qu’il a pour les lettres et son recul. Ces légendes, vies rapportées par d’autres, histoires dont on ne sait pas exactement la fin, participent sûrement au fatalisme avec lequel le narrateur regarde sa propre vie.
Les vies suivantes, elles, sont celles de personnes plus proches de lui, d’un cadre qui n’est plus forcément familial, elles servent beaucoup plus à décrire les difficultés de l’auteur à l’écriture, qui deviennent des difficultés beaucoup plus générales, avec l’arrivée de l’alcoolisme, déjà présent chez ses pères, et de la prise de drogues, les séjours en hôpital et en asile... Cette seconde accumulation de vies semble se concentrer plutôt sur une descente aux enfers de l’écrivain, en donnant des détails plus précis sur sa vie, qui semble de plus en plus sombre, pour fermer le récit sur la vie d’une morte, qui sert d’analogie à tous ces autres personnages, et conclure cette descente, cette vision fataliste, logiquement, dans le thème de la mort.

L’écriture est un thème majeur de ce roman, directement traité puisque mis en abîme. En effet, bien qu’étant, par exemple dans « Vie de Claudette » désespéré de ne pouvoir écrire ce qu’il voudrait, à l’époque, le narrateur est finalement en train de donner au lecteur le résultat de ces heures qu’il croit infructueuses, la preuve qu’il a réussi. Il fait d’ailleurs des évocations directes à la difficulté d’écrire, comme par exemple, dans « Vie d’André Dufourneau » : «L'écriture est un continent plus ténébreux, plus aguicheur et décevant que l'Afrique». Des désillusions que le lecteur peut lire directement dès la « Vie de Georges Bandy » qui présente le narrateur comme mis en échec par son incapacité à écrire, le poussant toujours plus bas, de l’hôpital, à l’asile, à l’alcool, aux drogues, et dans une pente logique, à la mort.
Mais cette « incapacité » à écrire qu’il qualifie même d’illettrisme, en se comparant au père Foucault, peut être vue comme un manque de confiance en soi. En effet, dans « Vie d’Antoine Peluchet », on retrouve l’expression « Ecrivain failli avant d’être ». En se comparant à Foucault, il exprime aussi sa peur d’être méprisé, rejeté à Paris, la peur d’être découvert comme un imposteur sous l’emphase de ses mots, de ses longues phrases. « J’étais, en quelques façons, illettré » est bien la marque d’un manque de confiance que l’on pourrait peut-être relier à sa vision des hommes de sa famille. Les considérant comme incapables, insipides, jamais parvenus à rien et revenant lui-même sur ces vies aux fins noires, sur l’absence de son père, le narrateur se retrouve déjà, avant même d’être, failli.
On peut en effet retrouver un certain fatalisme du narrateur contant sa descente aux enfers : le fait que les hommes de la famille soient tous présentés comme manquant leur but pourrait être vu comme une sorte de malédiction à laquelle le narrateur ne peut échapper. Glissant lui aussi dans l’alcool, dans une certaine perte de soi (passage à l’asile, vagabondage, incapacité à écrire), et finalement revenant au deuil de sa sœur, comme tous se rapportent à leur propre mort.

L'écriture de Michon n'est pas des plus simples à suivre, mais la difficulté que l'on peut rencontrer aux premières pages s'estompe vite pour laisser au lecteur la joie de réussir à se délecter d'un style original, aux longues phrases et aux jolies références, l'accrochant ainsi bien près d'un personnage qu'on n'espère plus voir se relever, mais qui est si parfait dans ce qu'il considère comme son illettrisme.
clairemouais
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le 16 mars 2013

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clairemouais

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