Dis-moi encore que tu m'aimes.
Constance de Salm n'est pas une femme comme les autres. Ses poèmes, ses textes, sa sensibilité faisaient l'unanimité à l'époque car on lui prêtait du talent, peut-être pas assez ceci dit pour être pleinement appréciée. Elle était reconnue pour son esprit et côtoyait même Alexandre Dumas grâce à un salon littéraire qu'elle tenait. Notre princesse féministe était une figure. Une figure qui n'écrira qu'un seul roman.
Vingt-quatre heures d'une femme sensible est un très court roman que je recommande à tous car il montre, plus qu'aucun autre roman, les élucubrations d'une femme qui s'effondre à la vue de son homme côtoyant une autre femme et dont elle sait qu'ils sont ensemble au moment où l'histoire se déroule. De ce simple postulat de départ s'écouleront 46 lettres de la protagoniste principale à son heureux aimé, étalées sur une seule journée, sans réponses, où elle y racontera ses doutes, sa jalousie, sa colère, et toujours son amour immodéré et insoluble. Il sera au cœur de ses peurs les plus folles et dictera sa plume sous des torrents d'excès.
Une note maximale pour les émotions que dégage ce roman épistolaire. Le style est très sobre et répétitif mais les mots sont choisis avec brio et grande justesse. Il y a dans les lignes de Constance de Salm une sensibilité hors du commun qui mêle dans le cœur du lecteur plusieurs ardeurs. En l'installant en voyeur de ses instants très intimes, de ses excès non maîtrisés, elle se donne entièrement et ne garde aucun secret pour elle. Un lien se crée et on adopte très vite une certaine empathie pour cette amoureuse de l'extrême qui ne maîtrise au fil des lignes plus l'ombre d'une hypothétique retenue. Elle déballe tout.
Plus qu'un simple témoignage de la jalousie d'une femme envers son amant, Vingt-quatre heures d'une femme sensible est la formidable preuve des ravages du cœur sur la raison et des sentiments sur la logique. Cette femme, seule et entraînée par ses propres délires, va monter un scénario de plus en plus alambiqué qu'elle abreuvera de fil en aiguille par les témoignages des valets et d'un homme, Alfred, fou amoureux de sa personne, dont elle se servira pour être consolée. L'amour y est tellement bien dépeint, des deux côtés de la médaille, qu'il donne à réfléchir sur sa toute-puissance et sur sa nécessité absolue à travers l'esprit sans filtre de cette sentimentale, égoïste bien malgré elle, qui passe par tous les stades et tous les paradoxes. L'infidélité est un grand malheur, mais la perte de l'autre est un plus grand malheur encore dit-elle, le pire de tous, alors nos sens déraillent et notre âme, vagabonde, se noie avec cette impression fatale de ne plus jamais pouvoir remonter.
Découvrez cette petite perle rare qui met des mots sur des sensations vécues par beaucoup mais souvent inavouables. C'est une aventure très touchante dans la peau d'une femme (qui se croit ?) blessée.